Donald Trump pratique en permanence la dialectique du palindrome, qui est l’art de tout inverser avec une mauvaise foi en acier trempé. Il prétend par exemple qu’entre Poutine et Zelensky, c’est le second qui est un dictateur attaquant le pays du premier. Avec son nouvel ami Elon Musk, il voudrait aussi persuader le monde libre (ou ce qu’il en reste !) que la liberté d’expression est mieux assurée quand ce sont des milliardaires qui contrôlent les médias et non les représentants de cette espèce honnie entre toutes, les journalistes qui vérifient les informations avant de les livrer au public. Les importateurs zélés du trumpisme en France singent d’ailleurs à merveille le nouveau maître de l’Amérique sonnée en faisant de la chaine interdite C8 l’héroïne martyrisée de la régulation audio-visuelle. Tout ce qui pourrait entraver la ploutocratie (le pouvoir des riches) semble, avec des démocrates de cet acabit, voué aux poubelles de l’histoire. La philosophie prônant la disparition de toute pensée critique trouve d’ailleurs un prolongement naturel dans le populisme autoritaire incarné par Poutine. Nous ne sommes pas là dans la simple géopolitique de circonstance mais, bel et bien, dans les affinités idéologiques. Une telle connivence comporte pourtant en elle-même sa propre limite. La loi du plus fort impose en effet de rester toujours le plus fort. Le retour à l’animalité qu’elle induit oblige le mâle dominant à triompher de tout rival potentiel. Jeu mortel, où il n’y a en général qu’un seul gagnant à plus ou moins long terme.
 C’est une galéjade, en tous cas, que d’imaginer un Donald Trump impressionnant les Chinois en « dealant » sur l’Ukraine avec son homologue russe, alors qu’il ne fait que dévaloriser son pays, sa personne et sa fonction. Vu de Pékin, on aura surtout vu le chef de l’état américain se coucher. Est apparue aussi au grand jour la grande vulnérabilité du dirigeant de la première puissance mondiale au baratin des « businessmen » en peau de lapin. Le moment venu, il suffira donc de lui présenter l’annexion de Taïwan comme une bonne affaire et il ne tirera pas un coup de canon pour empêcher la disparition des libertés publiques dans ce morceau de Chine promis au sort de colonie pékinoise.
L’avantage – le seul -que présentent les rodomontades de l’hôte de la Maison-Blanche, c’est qu’elles obligent les européens à s’auto déterminer. Sont-ils, oui ou non favorables eux aussi à la loi du plus fort ? Si tel est le cas, autant le dire tout de suite. Inutile de tergiverser et faisons savoir au démiurge du Kremlin qu’il peut s’emparer sans coup férir de la Pologne, des Etats baltes et quelques autres. Ainsi sera reconstituée l’Union soviétique et Donald Trump restera dans l’histoire comme celui qui aura favorisé ce grand bond en arrière.
Le pire n’étant jamais sûr, il existe cependant un scénario contraire, celui de la prise de conscience du danger tant dans sa composante idéologique que militaire. L’évidence de sa nécessité et son urgence ne sont cependant pas appréciées avec la même intensité par tout le monde au sein de l’UE. C’est pourquoi la seule solution réaliste dans l’immédiat reste, une fois encore, le redémarrage du couple franco-allemand. En son temps, l’alliance De Gaulle-Adenauer avait freiné les ardeurs de ceux qui voulaient passer de la guerre froide à la guerre chaude en imposant le respect à l’Est comme à l’Ouest. Le duo Macron-Merz doit imaginer quelque chose de ce genre avant qu’au sein du couple Trump-Poutine, passée la romance présente, la question de savoir qui domine qui n’en vienne à ravager le monde.