Le 20 février, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portée par le député Ecologie les Verts (EELV) Nicolas Thierry visant à protéger la population contre les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Le texte a été validé par 213 voix contre 51, lors de sa deuxième lecture à l’Assemblée nationale, à l’occasion de la journée d’initiative parlementaire du groupe EELV. Il avait déjà été voté en première lecture par les députés puis les sénateurs.
La question des PFAS a pu émerger dans le débat public grâce au long travail d’information réalisé par Nicolas Thierry et son équipe. Depuis leur création dans les années 1940, ces composants sont en effet jugés responsables de la plus grande crise de pollution de l’histoire de l’humanité. Les enquêtes journalistiques, soutenues par des données scientifiques, et l’action de militants et militantes comme Camille Etienne ou Gabriel Zucman ont progressivement permis de révéler l’ampleur de la catastrophe.
Le fléau des polluants éternels
Que ce soit dans les objets du quotidien (vêtements, chaussures, produits d’entretien, ustensiles de cuisine), dans l’environnement – des PFAS ont été retrouvés dans la pluie au Tibet – dans l’eau potable, voire dans les cheveux comme l’ont découvert des députés du groupe EELV en 2023, ces particules sont omniprésentes. Elles seraient même à l’origine d’une douzaine de maladies (entre autres des problèmes thyroïdiens et cardio-vasculaires, des cancers), et même d’une résistance aux vaccins… pour ne citer qu’eux.
La particularité de ces « polluants éternels » tient au fait qu’ils sont indestructibles de par leur structure : ils ne se décompensent ni dans le corps humain, ni dans l’environnement. Les PFAS, dont le nom générique recouvre environ 10 000 substances, échappent également à tout traçage précis.
Un défi relevé par Nicolas Thierry
Actuellement, il est impossible de détruire les PFAS plus vite qu’ils ne sont relâchés dans la nature, à l’image d’une baignoire que l’on tenterait de vider sans fermer le robinet.
Seule solution : arrêter toute production, qui était d’ailleurs l’objectif de la proposition de loi de Nicolas Thierry, prévoyant dès le 1er janvier 2026 l’interdiction de fabriquer, importer, exporter et commercialiser certains produits comprenant des PFAS. Cela concerne notamment les cosmétiques, les produits de fart pour les skis, les vêtements, les chaussures et les imperméabilisants textiles. Les tenues ou chaussures de protection, comme celles des pompiers, en sont exemptées, ainsi que les ustensiles de cuisine en téflon, au grand regret de l’élu.
Un autre défi majeur réside dans le rejet des PFAS dans l’environnement.
Le texte prévoit le contrôle sanitaire de la présence de PFAS dans les eaux potables, et demande une contribution aux entreprises dont l’activité entraîne le rejet de ces substances dans l’eau. En raison de leur permanence, le contrôle et la destruction des PFAS est extrêmement coûteux. Cela pose d’importantes questions de justice sociale, car les collectivités en charge de la compétence « assainissement » ont rarement les moyens nécessaires. Un problème que le député EELV Nicolas Thierry s’est proposé de résoudre par le principe du « pollueur-payeur » : les industriels émettant des PFAS devront payer une redevance assise sur les rejets de PFAS dans l’eau.
Ce principe a suscité une vive opposition de la part de l’extrême-droite, unique groupe politique présent à l’Assemblée à rejeter la proposition de loi. Il dénonce notamment l’absence d’une étude d’impact précise, la non-prise en considération des retombées sur les industriels, l’omission des bénéfices des PFAS, ainsi que la prétendue favorisation du marché chinois. Le député Pierre Maurain n’a pas hésité à qualifier le groupe EELV d’« Asie Ecologie les Verts », et à affirmer que le gouvernement en serait une « succursale ». Des arguments qui ne sont pas sans rappeler le poids des lobbies dans le processus législatif.
Les lobbies, entre influence sur la législation et défense des intérêts
Il ne s’agit pas là de groupes obscurs qui errent sans but précis dans les couloirs de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Mais d’entreprises ou d’associations qui défendent leurs intérêts de manière très concrète, au travers de campagnes de communication, de rapports d’expertise ou de rencontres avec les députés pour influencer la rédaction et le dépôt d’amendements – une prérogative parlementaire.
Le but : faire entendre ses idées pour créer un environnement intellectuel et public allant dans leur sens.
Il s’agit d’un processus très encadré, qui fait l’objet d’une régulation de la part de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Or, celle-ci a déjà recensé pour 2023 de nombreuses actions du groupe SEB, propriétaire de la marque Tefal, qui fabrique des ustensiles de cuisine. Les données de 2024 ne sont pas encore accessibles – les lobbyistes ont jusqu’au mois de mars pour déclarer leurs activités de l’année précédente – mais la militante écologiste Camille Etienne a révélé qu’une rencontre avait eu lieu entre le député RN Frédéric-Pierre Vos, à l’origine de la plupart des amendements déposés sur le texte – et deux communicants du groupe SEB.
L’influence des industriels est d’ailleurs facile à détecter : les discussions ont exclusivement été réduites aux aspects économiques et techniques, les élus d’extrême-droite reprenant les arguments des principaux lobbies et entreprises, comme le groupe SEB, le groupe Arkema, spécialisé dans la chimie ou le Cefic (Conseil européen de l’industrie chimique).
Cependant, les lobbies industriels et les députés du RN ont échoué à faire modifier le texte en deuxième lecture, et ce malgré les 38 amendements déposés qui auraient suffi à relancer la machine parlementaire. Une véritable victoire trans-partisane en faveur de l’écologie et de la santé publique. La proposition de loi était par ailleurs soutenue par le gouvernement, représenté par la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.
Après le Danemark en 2020 et l’Etat du Maine en 2021, la France devient à son tour pionnière dans la lutte contre les PFAS, ouvrant la voie à une prise de conscience à l’échelle européenne.