Toute l’année 2016 sera dominée, aux Etats-Unis, par la campagne présidentielle. C’est une complication dont les alliés de l’Amérique devront s’accommoder. Elle tombe mal pour tout le monde, y compris pour la France qui vivra elle aussi, selon un scénario approchant mais non identique, une inévitable dramatisation de sa vie politique intérieure dans la perspective de la course à l’Elysée. Difficile, dans ces conditions, de tabler sur des orientations claires en matière de politique étrangère, alors même que la situation internationale appellerait des gestes forts, tels que la participation de l’armée américaine à une grande coalition contre l’Etat islamique, puissance auto-proclamée aux confins de la Syrie et de l’Irak, devenu l’abri stratégique des adeptes de l’exportation du djihadisme le plus cruel.
On connait le « dilemme d’Obama » , qui ne se dissipera pas avant la fin de son mandat : il a été élu pour mener une politique contraire à celle de la guerre « invasive » en Irak qui aura marqué l’administration de son prédécesseur du sceau de l’irresponsabilité et du mensonge. D’où son rapprochement avec l’Iran dont l’avenir dira s’il ne s’agit pas d’une nouvelle erreur d’analyse. Même s’il a capitalisé dans l’opinion une image de fermeté avec l’élimination à grand spectacle de Ben Laden, l’ennemi numéro un du pays depuis le 11 septembre 2001, son souci aura toujours été, en sept ans de mandat maintenant, d’apparaître comme le contraire d’un « va-t-en guerre ». N’entretenant pas avec les dirigeants israéliens d’aussi cordiales relations que ses prédécesseurs, le locataire de la Maison-Blanche a été très fier d’avoir été l’un des quatre présidents américains (le dernier étant Jimmy Carter) à recevoir le Prix Nobel de la Paix, même si cette distinction, attribuée en 2009, a été et demeure l’une des plus controversées car Barack Obama a en effet souvent été amené à décider l’envoi de troupes à l’extérieur, notamment en Afghanistan. Il a cependant multiplié les signes de bienveillance vis à vis du monde musulman, notamment lors de son discours du Caire, en 2009, où certains observateurs – la visite se situait avant « le printemps arabe » – avaient pu noter dans son discours une critique des pays interdisant le port du voile au nom de la laïcité.
Lors de son élection et plus encore de sa re-élection, en 2012, face au républicain Mitt Romney, cependant, l’image d’un homme très idéaliste dans ses discours mais pragmatique dans l’action, plutôt « minimaliste » en politique étrangère et surtout soucieux d’inciter ses différents interlocuteurs – qu’il s’agisse des Européens ou des Moyen-Orientaux – à trouver en eux-mêmes la solution à leurs propres difficultés. Cette position, en rupture apparente avec l’interventionnisme excessif des USA sur la marche du monde, a été plutôt bien accueillie par le « main stream », c’est à dire le courant d’opinion censé représenter l’Amérique moyenne. En réalité, l’administration Obama rêvait de concentrer ses efforts sur l’Asie et la zone pacifique, car la pugnacité économique et la militarisation croissante de la Chine constituait aux yeux du Département d’Etat la seule véritable menace sur son hégémonie technologique et monétaire. Mais les grandes stratégies se heurtent parfois à des brutales accélérations de l’histoire et le président américain a mal anticipé un autre « désir impérial », celui de Vladimir Poutine rêvant de redonner à la Russie les attributs d’influence qui furent ceux de la défunte URSS.
Avec la main-mise sur la Crimée et le désir de garder un accès aux mers chaudes par le truchement du dictateur syrien Bachar-Al-Assad, le maître du Kremlin a pris le risque de revenir aux us et pratiques de « la guerre froide » et c’est une réalité avec laquelle l’Amérique doit aujourd’hui compter. De même qu’elle doit assumer son rapprochement avec Téhéran. Celui-ci a sensiblement modifié ses rapports avec les alliés traditionnels de la région que furent la Turquie, l’Arabie saoudite et les monarchies pétrolières du golfe… Ajoutons à ce tableau compliqué tout ce qui touche aux hydrocarbures : compte-tenu de la baisse de la demande mondiale comme du désir des pays producteurs de ne pas se laisser concurrencer par l’exploitation du gaz de schiste, les cours du brut ont baissé de façon spectaculaire. D’où une diminution des ressources de nombreux pays vivant dans une « économie pétrolière » forcément très liée à celle des Etats-Unis. Nul ne peut dire si, en ce domaine, demain ressemblera à hier et si nous sommes bel et bien, par les effets conjugués la lutte contre le réchauffement climatique et des technologies nouvelles d’extraction, entrés dans une nouvelle géopolitique du pétrole….avec tout ce qu’elle comportera d’exaspération dans les nations privées de rentes !
Les nouveaux géants de l’économie
De toutes ces questions complexes, une campagne dans le pays qui, pour nous Français nourris de la pensée de Tocqueville, reste le phare de la démocratie devrait faire son lot. Hélas, la culture télévisuelle de l’instantanéité et du spectacle réduit de beaucoup l’exposé des problématiques. Il n’est pas facile de comprendre ce qui fait vraiment débat entre les candidats. On voit bien que la société américaine, tétanisée par le « patriot act » consécutif au 11 septembre, gère vaille que vaille les terribles excès de la collecte à grande échelle des métadonnées et qu’il s’agit d’un problème d’autant plus épineux que les nouveaux géants de son économie ne sont plus les pétroliers texans ni les constructeurs d’automobiles de Détroit mais les champions du « marketing digital » (consistant à suivre le consommateur à la trace). La collecte généralisée et systématique d’informations sur tout le monde est au coeur de quelques controverses vite annihilées par le consensus global sur le besoin de sécurité.
Soucieux par nature de se distinguer de l’administration Obama, même Hillary Clinton, ancienne Secrétaire d’Etat et membre du même parti, les candidats à l’investiture de leurs formations respectives critiquent de façon assez évasive « l’attentisme ». S’ils sont presque tous d’accord sur le fait que le président sortant se signale surtout par son désir de « laisser le problème à son successeur » , l’envoi de troupes américaines au sol constitue un sujet de discorde: il y a plus qu’une différence entre la position du candidat républicain Lindsay Graham, vieux routier du Sénat, partisan de l’envoi massif de troupes pour en finir et celle du rival démocrate d’Hillary Clinton, Bernie Sanders, qui considère que les puissances arabes devraient à elles seules régler le problème.
Dans ce climat, il arrive que n’importe qui dise n’importe quoi. Dans un débat préludant aux investitures républicaines, Ben Carson, neurochirurgien à la retraite, a affirmé que la Chine opérait en Syrie et que tout avion russe opérant dans la zone devrait être abattu. L’actuel favori républicain, Donald Trump, affirme pour sa part que la guerre contre Daesh et contre Bachar El-Assad était la bonne solution, sans donner beaucoup de détails sur la façon dont son pays pourrait participer à une coalition. Il se fait applaudir partout, cependant, en prenant nettement position contre l’accueil de réfugiés. Les Etats-Unis ont accepté l’entrée sur leur territoire, pour le moment, de deux mille Syriens mais l’exécutif actuel a prévenu que ce chiffre pourrait être multiplié par cinq compte-tenu de l’ampleur de la crise, ce qui, effectivement, n’est pas très populaire. Mais rien ne servirait de s’opposer à l’arrivée massive de réfugiés si les orateurs en campagne ne pouvait mettre en avant une stratégie de solution à la crise syrienne. Si bien que, tout en critiquant la mollesse d’Obama, ils sont tous plus ou moins conduits à proposer qu’une guerre enfin efficace soit menée contre Daesh. On notera aussi qu’il existe des divergences entre les candidats proposant d’accueillir les réfugiés « d’origine chrétienne » et ceux qui considèrent qu’il ne doit y avoir aucune discrimination. Enfin, la position face à la Russie semble faire l’objet d’une étrange prudence. Même les partisans d’une « large coalition » omettent d’indiquer que cela signifierait un accord avec Poutine et des garanties durables quant à l’implantation durable de la Russie en Syrie…
Les choses se décanteront sans doute à l’occasion des conventions d’investiture des Républicains et des Démocrates au cours de l’année qui vient. Mais, pour le moment, une chose est sûre: « l’attentisme » d’Obama est critiqué sans que cette opposition ne révèle un véritable « réveil des faucons ». Difficile de dire, dans ces conditions, si le changement de président modifiera la donne au Moyen-Orient.
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