Ancien professeur de sciences-politiques, Marc Riglet a été directeur de la rédaction de France-Culture puis seceétaire général de Radio-France et éditorialiste à “Nice-Matin”. Il a notamment publié “Gauche-droite : les jeux brouillés” aux ditions des Syrtes. Chroniqueur littéraire au magazine “Lire”, Il a lu, pour le “Courrier du Parlement”, le récent ouvrage de Patrick Kessek consacré à la laïcité.
Au commencement est la sidération. Comment, par quelles diableries, la laïcité, cette pierre de touche de la République, a-t-elle pu être appropriée par le Front national, ce parti d’extrême-droite qui la vouait, hier encore, aux gémonies ? Certes, le caractère insolite de la situation n’a pas échappé aux observateurs ordinaires de notre vie politique. Mais, sans en prendre l’exacte mesure et sans non plus être capable d’en identifier les causes profondes.
C’est à dissiper cette confusion des valeurs et des esprits que s’attache, avec science et brio, Patrick Kessel. Il s’y emploie en deux temps.
En montrant, tout d’abord, que l’extrême-droite française est bien la dernière à pouvoir se prétendre l’avocate de la laïcité. Sa triple tradition – contre-révolutionnaire, antidémocratique et catholique, version Syllabus – l’installe depuis deux siècles aux antipodes de la République, de la démocratie et de la laïcité. L’extrême-droite ne peut donc enrôler la laïcité sous sa bannière qu’en la dénaturant, substituant, par exemple, à son universa- lisme consubstantiel un ethnicisme du plus mauvais aloi. “Pas elle, pas ça”, en somme.
Mais c’est dans le deuxième temps de la démonstration que le livre de Patrick Kessel offre le secours le plus précieux. Il nous raconte une histoire qui n’est pas gaie mais qui est vraie. Celle des inventeurs de la laïcité qui ont désappris à en être les défenseurs.
Celle qui voit, depuis plus d’un demi-siècle, le principe de la séparation des Églises et de l’État se réduire comme peau de chagrin. Celle qui laisse le différentialisme et le communautarisme saper les fondations de la citoyenneté républicaine. Celle, enfin, qui autorise une intelligentsia post-moderne à qualifier la laïcité d’“archaïque” et à la diluer dans une laïcité “nouvelle”, “ouverte”, aussi floue que sans ressort ? Avec de tels amis, on le voit, la laïcité n’a pas besoin d’ennemis ! Elle vit encore, toutefois. Et pour ceux qui l’aiment, ce livre n’est pas seulement un baume, c’est une arme.
M.R
Ils ont volé la laïcité
Patrick Kessel
Jean-Claude Gawsewitch
218 pages
18,90€