L’Assemblée Nationale a adopté le 9 octobre le projet de loi Pacte en première lecture. Fruit d’un consensus laborieux, celui-ci doit favoriser l’entrepreneuriat et l’innovation. Le texte prévoit notamment d’introduire dans le Code civil la notion de “raison d’être” des sociétés qui pourraient inscrire dans leurs statuts leur objet social. Une initiative jugée trop timide par certains.
Porté par Bruno Le Maire, le projet s’inscrit dans la lignée du mouvement de simplification du fonctionnement des entreprises. Qualifié de projet de loi “fourre-tout” par l’opposition, il prévoit la création d’entreprises en ligne et l’allègement des coûts administratifs pour les PME. Afin d’équilibrer la compétition avec les grands groupes, celles-ci pourraient désormais effectuer une demande provisoire de brevet avant même sa conception. Le financement d’un Fonds pour l’innovation grâce à des cessions de parts publiques est le premier point de friction : elles impliqueraient la privatisation d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux où l’Etat est actuellement actionnaire majoritaire, mais aussi une vente d’actions d’Engie. En ligne de mire du projet de loi : la modification du code civil permettant aux entreprises de déclarer leurs objectifs sociaux et de développement durable dans leurs statuts. Plus que symbolique, cette problématique redouble d’intérêt alors que le vote intervient au lendemain de la publication du rapport du GIEC sur le réchauffement climatique. Cette mesure va-t-elle pour autant tirer la sonnette d’alarme environnementale à l’oreille des entreprises ?
L’objectif de pérennité des entreprises, substitut au profit
Alain Bloch, entrepreneur et directeur scientifique d’HEC Entrepreneurs cosignait en mars dernier une tribune dans Les Echos pour proposer une rédaction différente du texte gouvernemental. Les entreprises devraient selon lui être gérées dans la perspective de leur pérennité. “Le texte actuel a au moins le mérite de remettre en question le profit comme règle unique de la gouvernance des entreprises” affirmait-il quelques heures avant son adoption, “mais le texte, peu courageux, n’oblige pas les entreprises à déclarer haut et fort leurs objectifs.” Selon lui, les objectifs sociaux et environnementaux ne vont pas à l’encontre des intérêts économiques des entreprises, tout au contraire. “On ne peut pas rester dans cette logique courtermiste opposant la recherche de profit au respect de ces objectifs.”
Vers un capitalisme moral ?
Si Alain Bloch dénonce le profit comme ratio ultime de la gouvernance des entreprises, loin de lui l’idée de remettre en cause le modèle capitaliste. “Cette logique a primé pendant un demi-siècle alors qu’il n’y avait aucune raison que le capitalisme prenne une telle orientation. L’objectif est de redonner un horizon à long terme à la gouvernance que le paradigme friedmanien a fait perdre, car je crois en la valeur concurrentielle des entreprises pérennes.” Cet avis est partagé par son collègue Rodolphe Durand, professeur de Stratégie à HEC, pourtant signataire de plusieurs tribunes en faveur de la loi Pacte dans Le Monde et Les Echos. “Le changement climatique et l’inégalité croissante du partage des profits accumulés nous obligent à repenser la valorisation des actifs”, soutient-il. Selon lui, c’est le mode de gouvernance des entreprises qui freine leur pérennité. “Les entreprises détenues par leurs actionnaires n’ont pas de marge de manoeuvre pour mener des politiques à long terme, tandis que pour les entreprises familiales, l’intérêt de pérennité est plus facile à défendre.” Alain Bloch cite l’entreprise Michelin à titre d’exemple. D’origine familiale, la société en commandite par action bénéficie d’une structure lui permettant d’orienter ses objectifs librement et d’être “à l’abri de tout raid des actionnaires.”
Finalement, cette disposition “n’engage en rien les entreprises” et paraît seulement prendre le relais des stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE) déjà engagées par beaucoup de sociétés. Certaines d’ailleurs en font même leur stratégie de marketing. Rodolphe Durand regrette que celles-ci ne soient pas plus incitées, voire forcées à déclarer leurs objectifs. Déçu des débats à l’Assemblée nationale, Alain Bloch estime que le gouvernement n’est pas allé jusqu’au bout. Peut-être leurs critiques seront-elles entendues en janvier prochain, lors du passage du texte au Sénat…
Image à la Une: HEC Paris et l’institut Viavoice ont opposé les professeurs Alain Bloch et Rodolphe Durand lors d’un débat. © HEC Paris