La laïcité, planche de salut des désordres à l’école et même de ceux de la société ? Vincent Peillon semble le croire, qui a annoncé l’affichage, dès cet automne, d’une Charte de la laïcité dans tous les établissements scolaires publics et qui prépare des cours de “morale civique” pour la rentrée 2015. Le ministre de l’Éducation nationale ne prend guère de risques politiques ce faisant : une très grande majorité de Français approuvent ces mesures. Sauf que le plébiscite repose peut-être sur l’illusion que l’école réussira là où eux-mêmes échouent souvent, à savoir rendre leurs enfants “bien élevés”. La nostalgie des “hussards noirs de la République” perdure.
L’affichage des principes qui fondent la “République indivisible, laïque, démocratique et sociale” ne pose pas de problèmes. La charte rappellera que si l’État respecte toutes les croyances, l’école, elle, “protège de tout prosélytisme et de toute pression” les élèves qu’elle accueille. D’où une application stricte de la loi de 2004 interdisant le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse. Il sera également précisé qu’“aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une partie du programme”. Les créationnistes ne sauraient empêcher d’enseigner Darwin et la religion n’excusera pas une absence aux cours de sports… Pas question de faire du texte une sorte de règlement intérieur. Il restera donc général et n’aborde pas les questions épineuses des repas servis à la cantine ou des parents qui accompagnent leurs enfants lors des sorties scolaires. Tous les personnels sont cependant conviés à “transmettre aux élèves le sens de la valeur de la laïcité”, ce qui n’est pas sans troubler les dits personnels, pas toujours bien outillés pour aborder le sujet.
Les interrogations éventuelles recoupent celles soulevées par les cours de “morale laïque” à l’école. D’une rentrée à l’autre, le ministre a préféré parler de “morale civique”, la première expression évoquant trop la IIIe République radicale et risquant de paraître un peu réactionnaire. Du coup, il s’engage sur les pas d’un Jean-Pierre Chevènement qui, à ce poste, avait déjà voulu réhabiliter l’instruction civique à l’adresse de ceux qu’il dénonçait comme des “sauvageons”. Sans grande efficacité, puisque le lointain successeur doit remettre l’ouvrage sur le métier. Pour Vincent Peillon, il s’agit d’apprendre aux enfants un certain nombre de règles de la société, les conditions du vivre ensemble, les bases du droit et le fonctionnement de la démocratie. Il souhaite une heure de cours par semaine en primaire et au collège, 18 heures de cours par an dans le secondaire. Mais le ministre va plus loin, puisqu’il estime nécessaire d’enseigner aussi “ce que sont les vertus et les vices, le bien et le mal, le juste et l’injuste”. “Une société démocratique ne peut pas vivre uniquement dans “la peur du gendarme”, mais avec ce qui vient de l’intérieur, ce que nous portons nous mêmes, ça s’appelle la morale”, affirme-t-il. Une extension qui provoque quelques réactions. “Le retour de la morale à l’école, c’est l’idée qu’on va discipliner les pauvres”, s’insurge le philosophe Ruwen Ogien. Pour lui, l’opération vise les jeunes des banlieues issus de l’immigration qu’il convient de remettre dans le droit chemin par l’exercice de la pensée critique. Ce qui revient à postuler que les règles morales communes sont rationnelles et existent hors tout commandement divin. Son collègue Alain Finkielkraut approuve en revanche une initiative qui rappellera qu’il “y a des choses qui ne se font pas” dans la vie sociale, interdits fondés sur des principes qui valent en toutes circonstances. “À l’école, on doit apprendre à se conduire dignement”, assure le philosophe.
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