Depuis le mois de mai dernier, la France a un Premier ministre écrivain. Avec Des hommes qui lisent, Édouard Philippe signe son troisième ouvrage, le premier écrit seul. Il s’y dévoile et expose son rapport aux livres.
« Au commencement était l’enfer. » C’est ainsi que s’ouvre le dernier livre d’Édouard Philippe. L’enfer de devoir lire, ou plutôt déchiffrer, à 6 ans, L’Enfer de Dante. Ce premier contact avec les livres, encouragé par son père professeur de français, ne présage pas une relation de tendresse ni de passion. Pourtant, au fil du temps, sa personne se construisant, l’ancien maire du Havre apprivoise ces objets singuliers pour finalement les lire passionnément. « Et Dante avait raison. Au commencement était l’Enfer. Mais l’Enfer n’est que le commencement. Et la somme des expériences, des connaissances, des livres lui permet sans doute d’atteindre, pendant quelques moments privilégiés, quelques moments qui relèvent du Paradis. » Clôturant ainsi ce que l’on peut qualifier d’essai biographique, Édouard Philippe entend montrer qu’il aime les livres. Non pas qu’il soit un littéraire (sa soeur enseignante l’est davantage que lui, rappelle-t-il), mais il aime lire, il aime apprendre, comprendre, enrichir son horizon et sa culture à travers les ouvrages.
Retraçant l’histoire des livres qui l’ont marqué, le locataire de Matignon brosse en parallèle sa propre histoire. Son texte paraît fortuitement au bon moment, il permet à Philippe de se présenter aux Français, qui dans leur grande majorité ne le connaissaient pas avant qu’il soit nommé à son poste actuel. Des origines de sa famille jusqu’à la signification du prénom de ses enfants, en passant par ses études à Sciences Po, on en apprend beaucoup sur le premier chef du Gouvernement barbu depuis plus d’un demi-siècle.
À la croisée des chemins entre essai et autobiographie, Des hommes qui lisent devait au départ constituer une présentation de la vision d’Édouard Philippe en matière de politique culturelle. Entamé il y a plusieurs années, ce livre va donc bien au-delà du simple rapport entre un homme et « ses » livres, comme il aime à le rappeler. Des hommes qui lisent est le récit d’un homme par les livres qui l’ont fait.
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Édouard Philippe n’a pas été parachuté à la mairie du Havre, et il tient à rappeler qu’il est du cru. Sa famille est originaire de Pont-Audemer, dans les terres, et s’est fixée au Havre plusieurs générations avant lui. Actif dans les années 1930, son arrière grand-père est docker, comme une grande partie des travailleurs de la ville, et cotise à la CGT. Intéressant, quand on connaît la famille idéologique de son descendant. Des hommes qui lisent lui permet de distiller ainsi certains éléments de sa biographie, comme ses études à Sciences Po où il adhère à la section du Parti Socialiste, son passage au Conseil d’État, où il apprend la grammaire administrative, et par où son passés, rappelle-t-il avec malice, des écrivains comme Erik Orsenna, Marc Lambron, François Sureau… On apprend aussi dans ce livre pourquoi l’un de ses fils s’appelle Anatole, pourquoi et comment Edouard Philippe en est venu à pratiquer la boxe avec assiduité, etc.
Le Premier ministre développe aussi sa vision d’une politique de lecture ambitieuse, en s’appuyant sur des réalisations entreprises lorsqu’il était maire du Havre. Aimant offrir des livres et protégeant jalousement les siens, il se veut défenseur de la culture à travers la lecture. Ces derniers ne sont jamais loin dans sa vie, qu’il en écoute en conduisant, ou même qu’il en écrive.
Des hommes qui lisent se veut aussi être un guide pratique, avec sa liste d’ouvrages qui ont marqué Edouard Philippe, des Mémoires d’outre-tombe à la biographie de Churchill par Josep Keegan, en passant par La politique des partis sous la IIIè République de Goguel, Freakonomics, best seller américain, et évidemment des livres d’Alain Juppé. Sont aussi recensés les classiques qu’il n’a pas lu, comme Madame Bovary ou Proust.
Ecrit dans un style sympathique, jamais dénué d’humour, des hommes qui lisent se lit facilement et surtout n’est pas un livre politique. Ce n’est pas de la littérature non plus ; l’entre deux semble trouvé. Si l’on en apprend sur les coulisses politiques de la défaite de Juppé à la primaire de la droite ou sur les premières années de l’UMP, sur les politiques publiques de la ville du Havre, on découvre au travers d’une page la vie du père de l’auteur. Prenant une résonance particulière avec le poste actuel d’Edouard Philippe, ce texte sonne comme un CV de 200 pages. Philippe se présente à la France, et déclare son amour des livres et de la lecture. Il faut lire des hommes qui lisent.
Des hommes qui lisent
Edouard Philippe
JC Lattès
248 pages
15€
Image à la Une : © Vernier / JBV News