En 1995, Benoit Hamon est hilare dans son polo en coton délavé. Avec fougue et dévouement, le président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) s’attelle à chauffer une salle pour le candidat Lionel Jospin. Ce reportage d’Antenne 2 a récemment refait surface ; l’occasion de s’interroger. Quelqu’un avait-il deviné que ce garçon dégingandé deviendrait un apparatchik de la gauche ? Pouvait-on déceler dans ce sourire ingénu l’avenir du « présidentiable » d’aujourd’hui ?
Il est un lieu en particulier où ce jeu de prospective prend tout son piquant. 27 rue Saint-Guillaume, Paris 7e. Sciences Po Paris, d’où cinq des sept présidents de la Vème République sont issus. En « péniche », le hall d’entrée où gît ce banc qui rappelle un navire, des étudiants se croisent sans se voir, se saluent chaleureusement ou plus froidement, mangent un sandwich ou refusent un tract. Cette grande échalasse vêtue d’un costume par 25 degrés, attaché-case et Libé sous le bras, sera-t-il un jour député ? Cette jeune fille fluette aux larges boucles couleur miel, la prochaine Anne Hidalgo ?
« Je me suis plusieurs fois demandé si je devais rester ou pas. »
Peut-être que l’avenir de la gauche est assis au café Le Bizuth, sur le Boulevard Saint-Germain, ce lundi matin. Derrière ses lunettes, les cheveux blonds de Maëlle encadrent un regard assuré mais apaisé. La jeune fille est chef de section du Parti socialiste Sciences Po. Son phrasé lent lui donne un air sage. Maëlle prend le temps de réfléchir, de se poser des questions et parfois même de trouver quelques réponses.
Le virus de la politique l’a contaminée tôt, elle commence à militer dans sa Sarthe natale dès 16 ans. « Je me suis toujours intéressée à la politique, mais c’est en découvrant Jaurès, Blum et le Front Populaire à l’école que mon engagement s’est précisé ». Elle a aujourd’hui 21 ans et suit un Master d’Histoire à l’école doctorale de Sciences Po.
Maëlle retourne, tort, réfléchit et interroge constamment son militantisme. Rien n’est acquis, surtout pas ses idées, qui se forgent au fur et à mesure de ses lectures. « Étudier l’Histoire nourrit très bien mon engagement. En me formant, je change d’avis. Par exemple sur l’Union européenne, où Coralie Delaune, David Cayla et les économistes atterrés ont vraiment aidé à développer mon esprit critique ».
Mais cette jeune vieille militante sort esseulée de l’année écoulée. « Je me suis plusieurs fois demandée si je devais rester ou pas. » Encore et toujours, il fallait répondre aux critiques sur François Hollande. Invitées à des événements organisés par son équipe, les figures de la gauche invoquaient constamment des agendas trop chargés. Et puis les défections de militants ont été nombreuses, un système de vase communicant avec En Marche ! a décimé les rangs. Souvent, elle a eu l’impression de tenir l’antenne socialiste de Sciences Po « à bout de bras ».
« Je ne suis pas sûre de rester au parti après les législatives. Je trouve que le militantisme est une activité très noble, mais ça peut fatiguer » euphémise-t-elle les yeux dans le lointain.
Le soutien à « Jean-Luc »
Cassandre, elle, n’a pas encore connu le temps de la désillusion. Tout juste majeure, cheveux coupés courts et visage poupin, l’étudiante en deuxième année s’apprête à commander un jambon-beurre à la cafétéria du 56 rue des Saint-Pères. Les anciens locaux de l’ÉNA. Dans la file d’attente, elle raconte son soutien à « Jean-Luc », comme elle l’appelle. Une prise de position qui n’allait pas de soi. « En entrant à Sciences Po, je me suis dit que je resterai loin des politiques. Je voyais les partis comme des bourreurs de crâne. Des politiciens tous pourris, tous les mêmes ».
Tout change au printemps 2016, lors des mouvements de protestation contre la « loi travail » portée par Myriam El Khomri. « Je n’avais presque jamais participé à des manifs. Cette fois c’était différent, j’étais à chacun des grands rendez-vous ». Elle a ensuite découvert les idées de Jean-Luc Mélenchon. Ça lui a « parlé », en faisant par exemple écho à son engagement préexistant en faveur des droits LGBT.
Elle est aujourd’hui l’une des quatre membres du bureau de La France insoumise Sciences Po. « Je suis engagée spécifiquement pour Jean-Luc Mélenchon, pour ce programme-ci, cette fois-ci » précise celle qui se méfie toujours des systèmes de partis.
Plus tard, elle ne se voit pas vraiment assumer de mandat politique. « Pas les épaules » songe-t-elle aujourd’hui. Mais comme Maëlle, responsable de section au PS, la recherche l’attire. « Il y a une vraie influence du milieu universitaire sur les politiques. Spécialement à gauche. » Ou l’objectif de peser dans le débat public, sans forcément être une élue.
HEC et « primo-encartés »
Comme Cassandre, Paul se donne le temps de la réflexion. Se voit-il plus tard faire de la politique ? « Pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais si des opportunités se présentent, pourquoi pas ». Un temps, d’ailleurs, qui lui manque. On le retrouve sur un coin de table, juste avant une conférence qu’il organise avec En Marche ! Sciences Po. Il en est le président.
Ce mardi soir, c’est le maire de Lyon Gérard Collomb qui vient prêcher la parole de l’ancien ministre de l’économie. Malgré un rendez-vous prévu à l’avance, le président de l’association En marche ! à Sciences Po n’a que cinq minutes devant lui. « Je suis désolé, j’aurais encore moins de temps après la conférence ». Poli mais pressé, entre deux grands sourires un peu automatisés, il garde toujours un œil sur son smartphone.
En double diplôme Sciences Po et HEC, stagiaire dans le prestigieux cabinet de conseil BCG, Paul quantifie, structure, analyse plus qu’il n’intellectualise. « 60% des adhérents à En Marche ! Sciences Po sont des primo-encartés ». Son engagement à lui aussi est tout neuf. « Je me suis toujours intéressé à la chose politique mais c’était tout. Puis Emmanuel Macron a semé des petits cailloux dans mon esprit, un contact m’a proposé de rejoindre son mouvement, j’ai accepté ».
On s’aventure à demander si Macron pourrait, selon lui, être l’avenir de la gauche. Il s’anime et complète « mais pas que de la gauche, de la France ! » Pour proposer une définition à « la gauche », justement, il ne répond pas du tac-au-tac. Pour la première fois. « Hmm. Je dirais que la gauche c’est l’égalité. La liberté, aussi, et la fraternité ». Comme son candidat, le garçon assume d’avoir un profil de gestionnaire plus que d’universitaire. Loin d’être faits du même bois, Maëlle, Cassandre et Paul n’ont décidément en commun que les bancs de leur école.
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