Que regroupez-vous derrière le terme d’économie numérique ?
L’économie numérique recoupe plusieurs réalités (business, industries, services, etc.) mais a deux caractéristiques fondamentales : elle ne connaît pas de contrainte géographique et exploite toute technique de diffusion de l’information. Née avec le minitel, son modèle économique a été bouleversé par Internet qui propose un accès libre au contenu et donc en redéfit les modes de rémunération des différents acteurs.
Est-il possible de chiffrer ce que représente aujourd’hui ce secteur en France ?
Difficile car c’est un secteur extrêmement disparate. La pénétration n’est pas la même selon les domaines : le monde de la musique ou celui du tourisme par exemple ont été bouleversés. De manière générale, les différentes études proposent des estimations allant de 5 % à 35 %.
À quel rythme se développe-t-il ?
Les usages basculent très vite pour une petite partie de la population. Mais pour qu’ils s’étendent à tous, il faut beaucoup plus de temps ! Il y a deux rythmes de développement : l’innovation, qui permet à certains acteurs de préempter certains marchés sur lesquels ils s’installent durablement (et qui deviennent du coup difficilement accessible à de nouveaux entrants), et l’élargissement au marché de masse qui s’inscrit sur la durée, au fur et à mesure qu’évolue la société.
Tout l’enjeu est donc d’entretenir un terreau fertile pour l’innovation tout en développant une vision sur le long terme pour accompagner ces changements inéluctables qui rythment les évolutions sociales, commerciales, économiques, etc.
Le cadre législatif actuel convient-il ?
On entend beaucoup de critiques car en effet tout n’est pas parfait mais il y a un certain nombre d’initiatives qui favorisent l’innovation. Prenons les pôles d’innovation. Ils sont emblématiques de la volonté très française de créer des effets de masse en permettant aux différents acteurs de trouver des synergies pour faire fructifier les idées, les financements ou les capacités organisationnelles.
Le principal écueil se trouve en fait dans notre mentalité, dans notre culture. Sur ce plan, nous devons nous inspirer des pays anglo-saxons où universités, grandes entreprises et petites structures innovantes développent des liens très forts. Grandes groupes et startups sont complémentaires : les premiers, plus agiles, peuvent défricher de nouveaux territoires alors que les seconds ont les moyens d’assurer le développement des innovations au-delà du court terme. Or en France, plutôt que de travailler main dans la main, ils semblent se craindre.
Le Premier ministre a annoncé la création d’une mission ministérielle sur le rapprochement du Conseil supérieur de l’audiovisuel et du régulateur des télécoms, l’ARCEP. Qu’en pensez-vous ?
La possible fusion du CSA et de l’ARCEP occulte une partie du débat. L’économie numérique dépasse largement la production de contenu et d’informations. Le sujet de fond qui doit nourrir la vision politique est en réalité l’explosion des barrières géographiques. Or si les règles législatives sont le plus souvent liées à des régimes de territorialité, le secteur numérique s’affranchit de ces réalités : il faut entamer une réflexion à ce sujet. Regrouper le CSA et l’ARCEP est relativement secondaire sur le plan économique.
Quel regard portez-vous sur les premiers pas de Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique ?
Il est encore trop pour juger. Nous apprécions sa capacité d’écoute et sa perception des enjeux, des contraintes et des réalités de notre secteur. Pas d’inquiétude de ce côté-là. Tout dépend maintenant l’avancement des différents sujets dans le contexte économique difficile que nous connaissons actuellement.
Selon vous, quelles doivent être les priorités à l’ordre de “l’agenda numérique” ces prochaines mois/années ?
L’e-commerce international ne connaît pas ou peu de frontières. Une fois le cons-tat posé, comment faire en sorte que tous les acteurs présents sur ce marché ouvert aient les mêmes droits et respectent les mêmes contraintes ? Le gouvernement et la Commission européenne doivent entamer un processus d’harmonisation au niveau européen, voire au-delà, afin de limiter la distorsion de concurrence. Pendant une dizaine d’années, cette nécessité a été mise de côté. Aujourd’hui, il est urgent d’agir.
Le pouvoir politique doit développer une vision d’avenir globale et accompagner ce nouveau modèle économique. L’e-transformation ne se fera pas d’un claquement de doigts. Ce sera long. Si l’on veut contrôler ce processus, il faut s’en donner les moyens c’est-à-dire :
– harmoniser les fiscalités ;
– permettre l’analyse des besoins des consommateurs tout en leur assurant l’anonymat s’ils le souhaitent ;
– lutter contre la fraude en fédérant les expertises des acteurs aujourd’hui isolés ;
– financer des petites structures innovantes ;
– en substance, faire appel aux ressources mises en réseau pour constituer une plus grande efficacité économique collective.