A en croire les petits génies de la communication politique, les fêtes de fin d’année constitueraient un grand moment de la vie démocratique. Il paraîtrait que la dinde aux marrons autoriserait, avec l’appui de quelques bulles de champagne, des échanges animés entre générations, voire entre beaux-frères de tendances opposées. D’où la nécessité, pour les dirigeants avisés, de fournir de quoi nourrir l’ordre du jour des discussions avant, pendant et après les agapes dans les salles à manger familiales promues parlements éphémères. En l’occurrence, le Premier ministre Edouard Philippe aura un peu raté son coup. Son histoire d’avion affrété pour rentrer plus vite et plus confortablement de Nouvelle-Calédonie a été jugée sévèrement dès le boudin blanc aux morilles et l’on ne saurait exclure que certains oncles grincheux n’aient cherché à relancer l’affaire à l’heure de la bûche…
Sans doute pour se prémunir des sentences injustes susceptibles de tomber de bouches pleines de foie gras, Emmanuel Macron aura pour sa part privilégié le travail sur l’image et la forme en ce dernier mois de l’année. Interviewé par le très comme il faut Laurent Delahousse, son compatriote amiénois qui fut élève comme lui du lycée La Providence, le chef de l’Etat aura eu à coeur de montrer aux Français qu’un jeune président ne ferait rien comme ses prédécesseurs. Faut-il ou non être assis lorsque l’on reçoit un journaliste à l’Elysée? Voilà qui constitue déjà un excellent thème de conversation. Mais le vrai sujet, celui aura fait durer le plaisir de se chamailler en réveillonnant en famille ou entre amis, c’est l’âge. Car nul n’a le droit d’ignorer que le chef de l’Etat a fêté ses quarante ans en deux temps ces derniers jours : au château de Chambord, où ses invités ont été logés à ses frais dans un gite rural confortable puis à l’Elysée. Le piquant de l’affaire, c’est qu’il sera devenu quadragénaire sans que le mot « quarantaine » ne prenne avec lui le sens péjoratif qu’on lui donnait au temps des pestiférés de la marine à voile. Le plus beau des cadeaux d’anniversaire qui lui ait été offert par les Français tient en effet dans sa côte de popularité.
Même les plus irréductibles opposants éprouvent des difficultés à critiquer le fait qu’un jeune homme ait réussi, sans avoir jamais détenu le moindre mandat électif, à sortir son épingle du jeu électoral très embrouillé qui marqua la présidentielle 2017. Il n’y a pas que François Hollande et les siens qui aient été sidérés par une accession au pouvoir s’apparentant à un tour de prestidigitation. La droite classique éprouve encore beaucoup de difficulté à s’en remettre et ne parlons pas du parti de Marine Le Pen. Souvenons-nous. C’était il y a quelques mois à peine. Et cela nous paraît un siècle tant la vie politique nous semble depuis, sinon transformée, tout au moins différente. D’où vient, pourtant, ce sentiment que l’on ne saurait mesurer cette éclatante réussite individuelle comme le succès de l’ensemble d’un pays ? D’un reste de lucidité. Celle qui nous fait considérer que les enfants meurent dans des accidents de passage à niveau comme il y a des décennies et que le retour de la croissance risque de passer inaperçu dans les territoires oubliés de la République. Un président jeune, au fond, ce n’est qu’un début. Pour rajeunir la France et ses pratiques publiques, il nous faut continuer le combat, comme disaient les étudiants barricadés à la Sorbonne il y a un demi-siècle. Il est assez drôle d’ailleurs de constater la coïncidence des anniversaires en 2018. Un président de quarante ans va présider aux cérémonies marquant les cent ans de la fin de la Grande guerre. Mais aussi à la célébration – avec réforme constitutionnelle à la clef – des soixante ans de la Vè République comme à l’évocation des cinquante ans des événements de mai 68. Puissent ces chiffres ronds ne pas le dissuader de se montrer carré quand il le faudra !