I. DES RELATIONS DÉGRADÉES
Avec les États-Unis et l’Union européenne, la France a voté des sanctions contre la Fédération de Russie, ce qui porte atteinte à notre coopération, dans tous les domaines. Des hommes politiques et des hommes d’affaires russes, dont plusieurs jouaient un rôle central dans nos relations bilatérales, sont désormais sur la liste noire et interdits d’entrée dans l’Union européenne. Parmi eux, le président du Conseil de la Fédération, Mme Valentina Matvienko, le président de la Douma d’État et officier de la Légion d’honneur M. Sergueï Narychkine, le secrétaire du Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie M. Nikolaï Patrouchev, le président du groupe parlementaire d’amitié avec la France et chevalier de la Légion d’honneur M. Leonid Sloutski, et plusieurs autres.
À l’initiative de la partie française, les mécanismes du dialogue bilatéral ne fonctionnent plus. Le Séminaire intergouvernemental au niveau des chefs de gouvernement ne s’est pas réuni depuis deux ans, la Commission interparlementaire au niveau des Présidents des chambres basses depuis trois ans. Le Conseil de coopération sur les questions de sécurité (CCQS), qui rassemble les Ministres des Affaires étrangères et les Ministres de la Défense, est suspendu, ainsi que les consultations entre le Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Les échanges bilatéraux ont baissé en 2014 de 17,6 %, et se sont véritablement effondrés les cinq premiers mois de cette année – ils ont diminué de 44 %. Suite aux contre-sanctions russes, les produits agroalimentaires français n’ont plus accès au marché russe, ce qui a conditionné en partie la crise de la filière porcine française. Le flux touristique en provenance de Russie a baissé de 50 %. Au total, les sanctions de l’Union européenne contre la Russie peuvent coûter à la France 0,5 % de son PIB et quelque 165 000 emplois, sans compter les opportunités ratées.
Les hommes d’affaires, les parlementaires et les élus locaux français sont soumis à une pression politique visant à les empêcher de développer des liens avec des partenaires russes. Les hommes politiques et les experts qui osent s’exprimer en faveur du partenariat franco-russe se font traîner dans la boue par les médias et traiter de « cinquième colonne de Poutine ».
On livre à la Russie une vraie guerre de l’information et, tous les jours, les médias français déversent de nouvelles saletés sur mon pays. On assiste depuis plusieurs années à une vraie campagne d’incitation à la haine contre la Russie, ce que la loi française a priori réprime.
II. COMMENT COMPRENDRE LES TENSIONS ACTUELLES ?
En regardant tout cela, une question légitime se pose : au nom de quoi ?
Pourquoi nos deux pays doivent-ils se détester ? Pourquoi brider le dialogue politique et réduire la coordination sur les problèmes politiques les plus aigus ? Sur quel autel la France et l’UE sacrifient-elles leurs liens économiques avec la Russie ?
Pour saisir toute l’absurdité de cette situation inouïe, voyons les raisons que l’on donne.
La Russie se comporte mal, dit-on. Il faut donc la punir. Étant donné qu’il s’agit d’une puissance nucléaire, personne n’ose lui faire la guerre. Alors les sanctions sont la seule voie qui reste.
Drôle de logique. Doit-on comprendre que s’ils pouvaient attaquer la Russie (comme ils l’ont fait par le passé avec la Serbie ou l’Irak) les leaders occidentaux seraient prêts non seulement à sacrifier les intérêts commerciaux, mais aussi la vie de leurs compatriotes ? Mais quelle faute a donc commise mon pays pour qu’on veuille tant le punir ?
M. Obama et d’autres politiciens occidentaux ont une réponse toute prête à cette question.
Selon eux, la Russie constitue une menace pour l’humanité, au même titre que le virus Ebola ou l’État islamique. La Russie ne respecte pas le droit international. Elle a annexé la Crimée. Elle aide les séparatistes en Ukraine. Si l’on n’arrête pas la Russie, elle va s’attaquer à d’autres pays. Il n’y a pas si longtemps, dans une interview à Libération, M. Porochenko a affirmé sans ambiguïté que « Poutine veut toute l’Europe ! ». Comment ne pas croire cet oligarque ukrainien qui possède toujours une grande confiserie en Russie dans la ville de Lipetsk ? J’ai pourtant l’impression que Diderot, lui, ne l’aurait pas cru. Car il ne croyait qu’aux faits, et avait du bon sens.
Je laisse de côté le fait que les premiers à accuser la Russie de violation du droit international sont ceux qui, ces dernières années, n’ont pas arrêté de piétiner ce même droit. Ce sont eux qui ont soutenu les séparatistes kosovars en leur envoyant des porte-avions et en bombardant Belgrade pour arracher à la Serbie un quart de son territoire historique. Ce sont eux qui ont aidé les insurgés libyens et ont transformé cet État en terre de chaos. Ce sont eux qui aident aujourd’hui les insurgés en Syrie. Mais après une année de bombardement et plus de 5 000 frappes américaines, l’État islamique n’a jamais été aussi fort. D’ailleurs, les sanctions contre la Russie constituent elles-mêmes une violation flagrante du droit international. Je pourrais citer bien d’autres exemples de la politique du « deux poids, deux mesures » de nos partenaires occidentaux.
Mais le plus important est ailleurs.
Chaque fois que j’entends des accusations à l’égard de mon pays, la même question me revient à l’esprit. Tous ces hommes politiques, diplomates ou journalistes français qui trouvent normal de détruire les relations avec la Russie à coup de sanctions ne voient-ils pas, ne comprennent-ils pas des choses évidentes ? Ne comprennent-ils pas à quel point les mythes d’une supposée « agression russe » contre l’UE et l’OTAN sont absurdes ? De même que les comparaisons de mon pays avec Ebola et Daech ? Ne se souviennent-ils pas que l’Ukraine doit ses frontières actuelles à Lénine, Staline, et Khrouchtchev, qui ont progressivement attaché aux terres ukrainiennes des régions russes entières du Sud- est, allant du Donbass à Odessa ? Ne savent-ils pas qu’à partir de la désagrégation de l’URSS une « ukrainisation » forcée a été opérée en Ukraine ? Une vraie offensive contre la langue et la culture russe a provoqué le mécontentement des régions russophones et a semé les grains de la guerre civile actuelle. À cet égard, je ne peux que conseiller de relire le chapitre intitulé « La tragédie slave » que Soljenitsyne a consacré à l’Ukraine dans La Russie sous l’avalanche. N’est-ce pas sous les yeux de ces mêmes gens que les protestations de Maïdan ont tourné en révolte nationaliste et russophobe ? Peut- être n’ont-ils pas vu arriver au pouvoir les nationalistes ukrainiens ? Ceux qui proclament ouvertement comme objectif de faire une nation mono-ethnique et qui vénèrent comme héros nationaux les sbires nazis – Bandera, Choukhevytch et autres bourreaux de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne – responsables du massacre des Polonais en Volhynie en 1942, et de la Shoah en Ukraine ? Ne voient-ils pas que le bataillon ukrainien « Azov » arbore le même écusson que la division SS « Das Reich » tristement célèbre pour le massacre d’Oradour-sur-Glane ? Ne comprennent-ils pas que la guerre civile en Ukraine n’est pas un conflit entre partisans et adversaires de la démocratie, comme les médias occidentaux essaient de la présenter d’une façon caricaturale ? Que c’est un soulèvement populaire contre le nationalisme agressif ukrainien ?
Je crois qu’au fond de leur cœur, ils comprennent tout cela très bien. Le problème n’est pas là.
Je ne peux pas m’affranchir du sentiment que la France joue le jeu d’autrui, selon des règles qu’on lui impose. Un jeu dont elle me paraît être plus victime que complice. Un jeu où elle ne fait que suivre aveuglément les forces qui cherchent à tout prix une confrontation avec la Russie.
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