Le dernier ouvrage Cercle du Leadership, un « lieu de veille et de propositions sur l’exercice du leadership », s’adresse aux dirigeants pour les aider à faire face au « défi de l’engagement ». Derrière ce terme se cachent en fait toutes les craquelures qui grandissent dans le vernis d’une « culture dominante » du « banquet » des décisionnaires. Un ouvrage collégial, sous la direction de Raphaëlle Laubie et Philippe Wattier.
Les défis d’un monde qui change
Quel est donc ce défi ? Pas vraiment question ici d’un engagement existentialiste, d’un libre choix pour donner un sens à sa vie. Celui-ci est plutôt contraint : devant la réalité d’un monde qui change et une défiance accrue envers ceux qui tiennent les rênes de la société, entre autres dans le monde professionnel, ceux-ci doivent absolument changer. Le moment fondateur de cette nécessité semble se trouver dans la crise de 2007-2008. Les entreprises, garantes pendant les Trente Glorieuses du pouvoir d’achat et du bien-être de leurs employés, sont de plus en plus montrées du doigt pour leur impact, plus ou moins néfaste, sur le monde qui les entoure – et les fait vivre. La preuve : les firmes communiquent de plus en plus sur leurs attitudes potentiellement « responsables », sentant qu’il faut « donner en retour ».
Cette défiance sociale n’est pourtant pas le seul élément à remettre en cause la façon dont se pratique actuellement le leadership, sans quoi le livre s’appellerait « le défi de la RSE ». Ce qui challenge effectivement les vieilles pratiques des dirigeants, c’est un mouvement général du monde, qui supporte de moins en moins de voir le pouvoir concentré dans les mêmes mains, et s’exercer ensuite via les mêmes canaux. Les dernières élections en sont une frappante illustration.
Ainsi, c’est le leadership même qui change : il doit s’ouvrir et se partager pour accueillir ceux qui en ont été exclus.
Pour structurer leur livre, les auteurs identifient quatre axes : l’un relevant de l’intime du dirigeant, le second de la mixité, le troisième des valeurs et de la société, le dernier de la culture de l’innovation.
Des témoignages qui laissent sur sa faim
Sur la forme, le concept collégial du livre donne naissance à quelques inégalités sur la qualité ou l’intérêt des chapitres et des témoignages. La partie « Sens et paradoxes » sur l’intime du dirigeant est la plus équilibrée en termes de pertinence des sujets abordés. Elle est la plus cohérente.
Sur le fond, les différents chapitres n’ont rien de prescriptif : ainsi, l’enjeu n’est pas tellement d’être d’accord avec ce qui est écrit, mais plutôt d’amorcer une réflexion personnelle pour chacun des lecteurs. Un désaccord fondamental n’enlèvera donc rien à l’utilité de la lecture.
Toutefois, la question du manque de corps de ces conseils dispersés pourra émerger une fois le livre bien entamé. Il est en effet difficile au premier abord d’en faire émaner une direction commune. Finalement, c’est en le refermant que l’on arrive à en tirer du sens : c’est un ouvrage qui se comprend à rebours.
 La transversalité comme clef
Si le livre oscille parfois entre philosophie générale et conseils très spécifiques, une prise de distance avec son contenu permet néanmoins de dégager un concept-clef, dessiné en filigrane : une approche intégrée du changement.
Ainsi, les quatre parties incitent toujours, finalement, à adopter un point de vue global de l’entreprise et de ses problématiques, à penser en écosystèmes et à changer les « process ».
Or, la science politique a vu naître, d’abord dans les instances européennes, un concept que l’on pourrait parfaitement appliquer à ces enseignements : le « gender mainstreaming ». Celui-ci correspond à « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ». Il a ensuite donné naissance au « diversity mainstreaming », « age mainstreaming », et d’autres à venir.
Ainsi, l’appel de ce livre pourrait être traduit comme une volonté de « changement mainstreaming ». Et pourquoi l’adresser aux dirigeants, s’il concerne tout le monde ? Car ils sont les garants, les représentants, et même les incarnations de ce travail constant. Ce sont les mieux placés pour avoir une vision d’ensemble, créer un enthousiasme ainsi que des impulsions d’actions concrètes autour de celle-ci. A eux de savoir écouter les voix qui émergent de toutes parts pour compléter et façonner cette même vision.
Sous la direction de Raphaëlle Laubie et Philippe Wattier
Préface de Philippe Gabilliet
Archipel
304 pages
20€
Crédits photo une : Flickr / CC / Wake Forest University School of Law