Avec 250 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050 d’après l’ONU, les états développés devront accueillir – qu’ils le veuillent ou non – un important flux de personnes contraintes de se déplacer pour leur survie. Comment peuvent-ils s’y préparer ?
Les pays développés sont en réalité déjà mobilisés avec la mise en œuvre de l’accord de Paris pour contenir le réchauffement climatique. Toutefois, le problème ne concerne pas uniquement les états signataires même s’ils doivent montrer l’exemple de manière incitative. La première étape consiste à reconnaître les déplacés en leur donnant les droits et les garanties qui leurs sont nécessaires : plusieurs initiatives de ce genre ont déjà émergé par exemple en Nouvelle-Zélande, où un système de visas exclusivement destiné aux réfugiés climatiques est en cours d’expérimentation.
Quand la question migratoire est-elle apparue comme faisant partie intégrante du débat climatique international ?
La première notion de “réfugiés environnementaux” est apparue en 1985 au sein d’un rapport des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) qui les définit comme “ceux qui sont forcés de quitter leur lieu temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale qui met en péril leur existence ou affecte sérieusement leurs conditions de vie”.
Dans un deuxième temps, les états membres du haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) ont refusé d’intégrer cette question au programme de travail de l’institution. Une décision qui a fait réagir la Norvège et la Suisse, deux pays à l’origine de l’initiative Nansen, un processus qui repose sur des consultations régionales dans le but d’atteindre un consensus entre les états volontaires sans passer nécessairement par le cadre onusien. Cette démarche a permis d’adopter un premier texte sur les migrations en 2015.
Inondations, sécheresses, montée des températures ou des eaux, catastrophes naturelles : les déplacements sont multifactoriels et le réchauffement climatique ne fait qu’amplifier les difficultés rencontrées.
Pensez-vous que le sujet n’a pas été suffisamment pris à bras le corps, notamment lors de la COP21 à Paris où il a surtout été question de réchauffement climatique, mais pas forcément des migrations entrainées par celui-ci ?
Je pense qu’il faut voir la problématique en deux temps : la COP21 n’avait pas pour vocation de trancher la question des migrations climatiques, mais bien d’amener les états à se mettre d’accord pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Deux ans plus tard, et malgré l’annonce du retrait des Etats-Unis de l’accord, les autres pays continuent bien de ratifier le document pour concrétiser leurs engagements. Aborder le sujet des migrations climatiques lors de cet évènement nous aurait fait courir le risque de compromettre sa réussite.
Quels sont à l’heure actuelle les pays les plus touchés par les migrations climatiques ? Vers quels états se tournent principalement les réfugiés pour être accueillis ?
Les personnes les plus touchées se déplacent essentiellement à l’intérieur même d’un pays ou traversent la frontière pour se réfugier dans un état voisin. Le fantasme de voir arriver des milliers de personnes de l’autre bout du monde en Europe pour des raisons climatiques ne correspond absolument pas à la réalité. Sans oublier que le réchauffement n’est souvent pas le seul critère d’une migration, mais le facteur aggravant pour un foyer qui a déjà perdu la capacité de subvenir à ses besoins. Inondations, sécheresses, montée des températures ou des eaux, catastrophes naturelles : les déplacements sont en réalité multifactoriels et le réchauffement climatique ne fait qu’amplifier les difficultés rencontrées. Les premiers concernés sont les populations des îles du Pacifique ainsi que les pays en voie de développement, notamment en Afrique.
Le fantasme de voir arriver des milliers de personnes de l’autre bout du monde en Europe pour des raisons climatiques ne correspond absolument pas à la réalité.
Pour la première fois de son histoire, l’Assemblée de l’Union InterParlementaire (UIP) a adopté une résolution visant à protéger les migrants climatiques, comprenant deux de vos amendements. Pensez-vous qu’il s’agit d’une véritable avancée qui pourra sensibiliser les Etats à la question ?
Je voudrais d’abord saluer le travail de l’ensemble des parlementaires y compris tous les membres de la délégation française qui ont permis de porter collectivement le sujet en France puis à l’international. Résultat : 178 parlements nationaux se sont engagés à appeler les gouvernements à faire des propositions au niveau législatif sur la capacité à agir en faveur des déplacés climatiques en les protégeant. C’est un affichage politique extrêmement important qui va permettre de sensibiliser l’ensemble des états du monde à prendre à bras le corps ce problème.
Reste que pour la plupart des pays de la planète, le changement climatique ne peut pas justifier à lui seul une demande d’asile. La création d’un statut spécifique vous parait-elle pertinente ?
Je ne pense pas qu’il faille nécessairement répondre à ces déplacements par la création d’un statut spécifique qui reviendrait à questionner le sens de la Convention de Genève au risque de ne pas trouver un nouvel accord. C’est pourquoi on préfère d’ailleurs employer le terme de « déplacé » plutôt que de « réfugié » climatique : l’idée consiste à intégrer dans les législations nationales, avec la reconnaissance du réchauffement climatique, des critères permettant sous certaines modalités l’accueil de personnes étrangères de façon temporaire ou permanente.
On ne peut pas prendre le leadership de la lutte contre le dérèglement climatique sans agir sur ses conséquences.
Alors que gouvernement actuel est souvent critiqué pour sa politique migratoire, vous appelez la France à prendre le leadership sur la question des migrations climatiques. Par quels moyens précisément ? En aidant les pays les plus vulnérables à s’adapter ?
Dans la ligne droite de ce qu’elle a déjà accompli lors de la COP21, la France a la responsabilité de donner l’exemple : car on ne peut pas prendre le leadership de la lutte contre le dérèglement climatique sans agir sur ses conséquences. Notre action sur la scène internationale nous donne en ce sens une très grande légitimité pour accompagner nos partenaires et agir sur les causes profondes à travers l’aide au développement, lutter contre le réchauffement climatique, le tout en mettant en place les dispositifs pour mieux accueillir les personnes qui seraient susceptibles de se déplacer.
Qu’est-ce que l’UIP ?
Créée en 1889, l’Union interparlementaire est l’organisation internationale des Parlements : celle-ci est le foyer de la concertation interparlementaire à l’échelle mondiale, avec pour objectif d’œuvrer pour la paix et la coopération entre les peuples, le tout en affermissant la démocratie participative. Cette institution œuvre en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies dont elle partage les objectifs et appuie les efforts. En octobre 2016, l’UIP a notamment adopté sa stratégie 2017-2021 sous le titre « De meilleurs parlements pour des démocraties plus fortes ».
Copyright de l’image en Une : Jean-Marc Favre