Rien de nouveau sous le soleil, à part que la terre garde un peu plus au chaud ses rayons. Au début années quatre-vingt-dix, Michel Rocard à Matignon évoquait souvent le « trou » de la couche d’ozone, l’inéluctable effet de serre et la nécessité d’une « bop ». Bop, comme « bonne organisation de la planète ». Le Premier ministre de François Mitterrand, provoquant souvent le sourire amusé de celui-ci, faisait écho aux travaux déjà anciens de quantité de chercheurs. Dans l’esprit toujours en éveil de Michel Rocard, il fallait des solutions mondiales aux problèmes mondiaux. Le climat, certes. Mais aussi l’ordre monétaire, le prix du blé, le financement des activités criminelles et terroristes, etc… Cela n’était pas aussi utopique que cela. On l’a bien vu cette année à Paris avec la réunion de la « COP » dont l’acronyme (« conférence of parties »), synonyme de « flic » en argot américain, dit bien ce qu’il veut dire. Il va falloir des gendarmes du climat et que leurs coups de sifflet soient entendus dans toute la planète. Les précédentes réunions de la COP étaient celles de la prise de conscience, qui ne fut que lentement partagée. C’est une longue marche qui, quelle que soient les avancées de la COP 21, est loin d’être terminée.
En 1990, les scientifiques du GIEC (Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) ont publié un premier rapport. Deux ans plus tard, à Rio, les Nations-Unies entrent dans la danse et les discussions d’un accord-cadre sous l’égide de l’ONU ont pu avoir lieu à Berlin en 1995. Ainsi est née la première COP. A Kyoto, en 1997, le processus avance mais ne concerne que les pays développés qui, en ordre dispersé, se renvoient la balle. Mieux: le Sénat américain décide qu’aucun traité ne pourra handicaper l’économie américaine et en 2001, George Bush II décide de ne pas ratifier le protocole de Kyoto. Il en est résulté des systèmes compliqués de compensation de taxe carbone autorisant non seulement des trafics sur la TVA autour des « droits à polluer » mais aussi de nouvelles disparités entre pays du Nord – principaux émetteurs de CO2 – et pays du Sud, principales victimes du changement climatique. .
On a bien vu, lors de la dernière COP au Bourget, que dès que l’on rassemble 150 chefs d’Etat et leurs délégations, plus des experts et des militants, la discussion ne peut que partir dans tous les sens. Les réunions dans la coulisse, les « négociations » entre spécialistes et politiques, ont été spectaculaires au Bourget. Il y a, dans plus en plus de pays, des « fonctionnaires verts » qui n’adorent rien tant que couper les cheveux en quatre dans des commissions et sous-commissions. De même qu’il existe, autre enseignement de ces récentes assises, des « financiers verts » à l’affut de toutes les opportunités – ce qui n’est pas malsain dans le principe – liés à la transition énergétique. Entre progrès et reculs, accords bilatéraux – la Chine et les Etats-Unis – ou multilatéraux, coopérations renforcées, s’est imposée l’idée que rien ne viendrait d’en haut et qu’il fallait, pour que la lutte contre les désordres environnementaux soient un peu efficace, que les états s’engagent dans un processus contraignant. C’était le sens du discours de François Hollande et de celui de Vladimir Poutine et même, dans une certaine mesure, de celui de Barack Obama. Rien d’étonnant à cela si l’on veut bien y réfléchir. La grande peur des états, c’est que des structures supranationales ne les dépossèdent de leurs prérogatives, qu’il s’agisse des organisations onusiennes ou des multinationales capitalistes de type Google. On aura d’ailleurs vu dans la séquence COP 21 des milliardaires du net, tels Bill Gates et Mark Elliot Zuckerberg, faire assaut de philanthropie, la main sur le coeur. Ces gens sont bien conscients de leurs intérêts, du plus noble – laisser à leur propre descendance un monde vivable – au plus cynique, qui est celui de ne pas abandonner aux seuls états la possibilité de profiter du sujet « réchauffement climatique » pour affirmer une omnipotence dont ils ne savent que trop qu’elle pourrait se traduire par une fiscalité massive. C’étaient là les inévitables jeux un peu hypocrites d’un rendez-vous mondial qui aura cependant démontré son utilité en de multiples domaines.
D’autres cataclysmes
Le mélange des préoccupations environnementales et des soucis de géostratégie provoqué par un événement comme la COP aura été tout à fait passionnant. Plus que n’importe quelle leçon du Collège de France ou de la Fondation des sciences politiques, il aura permis au citoyen curieux de comprendre un peu mieux dans quel monde nous vivons. Et le constat ne conduit pas forcément au pessimisme. On aura bien vu que la diversité des régimes, des richesses et des philosophies préside, en dépit de la sous-culture généralisée par les feuilletons américains, aux organisations humaines. Vingt-six ans après la destruction du mur de Berlin, le capitalisme et ses variantes n’ont pas envahi le monde et la démocratie libérale n’accomplit nulle part de marche triomphante, au Moyen-Orient encore moins qu’ailleurs. La Chine a réussi l’étonnant mélange de l’étatisme et de la frénésie du business tandis que les sociaux-démocrates européens sont confrontés à la difficulté de répartir des richesses que les prélèvements obligatoires empêchent de créer. Partout, les états sont minés par les multinationales pratiquant l’optimisation fiscale quand il ne s’agit pas de celles du crime et du terrorisme, ces dernières se trouvant loin d’être limitées à des organisations géolocalisables de type Daesch. En réalité, les catastrophes climatiques qui nous attendent ne sont peut-être rien par rapport à tous les périls liés au fanatisme religieux et aux cataclysmes susceptibles d’être provoqués par la dissémination des arsenaux nucléaires, bactériologiques et chimiques dans bien des recoins de notre terre. Mais, au moins, avec l’effet de serre, avons-nous l’impression qu’au stade individuel – ne serait-ce qu’en triant ses déchets ou en changeant de voiture – nous pouvons faire quelque chose et cela, c’est très bon pour notre moral.
Reste à définir, tout de même, le modèle économico-politique utilisable comme grille d’analyse des « mesures contraignantes » envisagées. Etatiste, libéral, supranational ? Il y a encore des nations, où l’Etat peut tout parce qu’il est dictatorial et d’autres, comme les Etats-Unis, où – en théorie – il ne peut rien au nom du sacro-saint libéralisme. Est-ce que le caractère impératif de la lutte contre le réchauffement climatique serait susceptible de gommer ces différences que l’on retrouve, plus nuancées, dans d’autres contrées ? Mais, surtout, qui pourrait, surplombant les gouvernements, se comporter en garde-champêtre, juge de paix et percepteur de l’humanité pour mettre un tant soit peu d’équité dans la répartition de l’effort ?
Ainsi se pose la question de la « gouvernance de la planète » qui n’a pu qu’être abordée que de façon latérale au Bourget. C’est maintenant, une fois les belles paroles et les flonflons retombés, qu’il faut se demander si l’on privilégie partout dans le monde les encouragements à « la finance verte » en jouant le jeu libéral ou si l’on instaure une bureaucratie planétaire chargée de répartir – moins la rémunération des fonctionnaires préposés à cette tâche – les milliards d’euros ou de dollars susceptibles d’être générés, par exemple, par une taxe sur les transactions financières. On ne voudrait ni encourager ni décourager personne sur cette voie, mais il faut remarquer que la politique de la taxation systématique n’entraînerait pas seulement des frais de perception mais aussi des charges gigantesques en matière de contrôle, aussi bien sur les fraudes que sur la réalité des engagements pris par les états sur la réduction de l’effet de serre. Jusqu’à présent, la terre a été une co-propriété qui n’avait pas de syndic. Pas de règlement, pas d’autorité pour l’appliquer. Les COP successives auront démontré – c’est là leur grand mérite – qu’il est maintenant indispensable de s’occuper avec un minimum d’organisation de l’atmosphère dans laquelle nous baignons tous, avant peut-être de s’attaquer aux désordres monétaires et à la criminalité. Car l’avantage des questions environnementales, c’est qu’elles ne sont pas seulement planétaires mais aussi partagées par tous les individus. Le riche et le pauvre, le gouvernant et le gouverné, le dominant et le dominé (pour parler comme Pierre Bourdieu), tous respirent le même air !
Copyright photo : © Vernier/JBV NEWS