L’année 2012 restera dans les annales pour son printemps très politique : présidentielle puis législatives. Mais l’automne aura été aussi très effervescent autour des nouveaux équilibres de l’architecture des pouvoirs locaux. Passionnant débat, qui concerne la France entière mais qui par sa complexité, déroute les médias nationaux, en fait parisiens, un peu à l’image des institutions européennes en général mal suivies et expliquées par les grands moyens d’information audio-visuelle. Deux exemples illustrent bien, pourtant, l’impact de ces questions. Les États généraux de la démocratie territoriale, organisés au Sénat et à la Sorbonne, ont été conclus par le chef de l’État en personne. Au même moment, l’immense amphithéâtre de la Gare du Midi, à Biarritz était rempli à craquer d’élus venus de toute la France pour entendre deux ministres, Marylise Lebranchu et Cécile Duflot, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Il s’agissait de la 23e convention de l’AdCF. Elle a confirmé le désir des présidents de communautés de communes de dire plus que leur mot des prochains rendez-vous législatifs liés à nouvel acte de décentralisation. 1 700 participants ont assisté aux débats des trois jours et l’on reconnaissait même, dans les rues de la célèbre station de la Côte basque, des élus venus des départements et territoires d’Outre-mer habillés dans leurs tenues traditionnelles… Le renforcement des prérogatives des communautés dans le champ de l’urbanisme et du logement ont fait l’objet de longs échanges. Mais la consolidation de l’axe régions-communautés à travers les politiques contractuelles a aussi été réclamé et l’on a vu apparaître d’incontestables divergences, qu’il appartiendra au législateur de trancher, à propos des élections municipales de 2014. Si la date du scrutin a été maintenue, contrairement à ce qui est envisagé par les cantonales et les régionales – reportées en principe d’un an – la question de l’élection des conseils de communauté reste l’objet de discussions. Il y a les partisans du statu quo, parmi lesquels Marylise Lebranchu ne se range pas. La ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique a clairement déclaré aux “conventionnels” de l’AdCF qu’elle ne souhait pas le maintien de la pratique actuelle consistant à élire d’abord des conseillers municipaux qui désignent ensuite les délégués appelés à siéger dans les intercommunalités. Le président de l’AdCF, Daniel Delaveau, considère d’ailleurs que “le statu quo n’est pas possible”.
Innovation : le “scrutin fléché”
Le “patron” de Rennes Métropole estime que le “scrutin fléché” constituerait une première étape indispensable, seule à pouvoir faire consensus dans les délais impartis pour voter un texte avant mars 2013 (soit une année avant les échéances municipales). Il convient cependant de noter que beaucoup d’élus pensent la disposition déjà prévue par la loi “RCT” du 16 décembre 2010. La convention nationale de Biarritz a permis de rappeler à tous que seul le principe est à ce stade fixé par la loi, les modalités concrètes de mise en œuvre restant à préciser dans un texte à venir. Car le projet de loi dit “61”, fixant les modalités d’élection des conseillers communautaires mais aussi des conseillers territoriaux, n’a pas pu être examiné lors de la législature précédente. Et de toute manière, les “conseillers territoriaux” – censés remplacer à la fois les conseillers généraux et les conseillers régionaux – seront supprimés par les nouvelles majorités de l’Assemblée et du Sénat, résolument hostiles à cette réforme voulue par l’ancien chef de l’État non sans réelles réticences chez ses propres partisans. Comme dans un ballet bien réglé, le président de la République s’est exprimé en faveur du “scrutin fléché” avant même que la convention ne se termine. Le téléphone et les “textos” ont bien fonctionné entre Biarritz et l’Élysée… Ce qui ne veut pas dire que le consensus soit total. Beaucoup d’élus – tel Vincent Feltesse, président de la Communauté urbaine de Bordeaux – militent pour un suffrage universel direct à deux niveaux : élire d’une part des conseillers municipaux et d’autre part des conseillers communautaires de façon à ce que les électeurs sachent “qui fait quoi ?” et que les intercommunalités disposent d’une véritable assise démocratique. En quoi consisterait “le fléchage”, solution intermédiaire ? Tout simplement, à mentionner, sur les listes des candidats aux municipales, les noms de ceux qui seront en même temps postulants à l’intercommunalité. D’autres solutions que le “fléchage” ont aussi été envisagées : assemblées mixtes, élection de l’exécutif communautaire par l’ensemble des électeurs, désignation des “premiers de liste” comme dans le statut en usage à Paris, Lyon et Marseille instauré par la fameuse “loi PLM”, etc.
L’urgence d’une loi
D’où l’urgence, soulignée par Daniel Delaveau, d’une loi mettant fin aux supputations au moins un an avant les prochaines municipales sans attendre les textes fixant les nouvelles articulations autour des compétences des trois entités majeures de la démocratie territoriale : intercommunalité, département, région. Il faut aussi définir de nouveaux seuils pour les scrutins de liste et la proportionnelle : Beaucoup d’intervenants ont défendu l’idée d’une généralisation du système des listes, même dans les petites communes. La notion de “fléchage” présente aussi ses ambigüités car certains électeurs pourraient croire à la possibilité de “flécher” eux-mêmes les candidats qu’ils souhaitent voir siéger dans les intercommunalités, ce qui montre bien que tout ce qui touche “à la lisibilité démocratique“ reste à la fois délicat et important. Derrière le sujet se cache une réalité : les budgets votés par les intercommunalités sont devenus largement plus importants que ceux des communes et il serait bon que les citoyens en aient conscience. La solution ? Elle viendra sans doute d’un processus “par étapes” : fléchage en 2014, suffrage universel d’agglomération en 2020. Le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, ne compte pas non plus parmi les partisans du statu-quo. Reprenant les thèses du sociologue Jean Viard opposant “la démocratie du sommeil” à celle du “bassin de vie”, il a confié que “la recherche de l’intérêt général impliquait une prise de distance par rapport à ses propres intérêts. Le mode de scrutin actuel pousse à une “France municipale”, qui plus est défensive. Ce n’est plus tenable. Je crois qu’il est temps de comprendre que nous sommes entrés dans une société où le territoire de vie est plus vaste que celui de la commune de résidence et où la démocratie doit avoir sa place. Il est temps que la représentation des responsables soit repensée.” Depuis les premières lois de décentralisation promulguées par Gaston Defferre et en dépit de tous les textes venus renforcer l’intercommunalité, la question de la “démocratie communautaire” a été souvent renvoyée à l’élaboration d’un schéma cohérent, certaines communes restant à l’écart de toute agglomération. Mais les commissions départementales de l’intercommunalité, travaillant en lien étroit avec l’État via les préfets et sous-préfets, ont beaucoup avancé ces derniers mois et les “communes isolées” sont devenues rarissimes sur l’ensemble du territoire français. Sur les 220 milliards d’euros gérés, selon certaines estimations, par toutes les collectivités territoriales, 35 milliards le sont par les seules intercommunalités, de plus en plus financées par des impôts directs payés par les ménages alors qu’au temps des “syndicats intercommunaux “, les moyens venaient le plus souvent de taxes spécifiques, par exemple sur les transports. L’apparition de ces budgets propres change la donne. Mais on ne peut séparer la réflexion des membres de l’AdCF de celle des associations similaires représentant les grandes communautés urbaines, les départements, les régions ou, plus spécifiquement, des maires de France dont le Congrès sera, du 19 au 22 novembre, l’occasion de fixer un peu mieux le nouveau cadre de l’action publique dans les territoires. Il est prévu que François Hollande s’exprime à nouveau, en clôture, sur l’ensemble des questions qui auront animé les assemblées générales d’élus cet automne à tous les niveaux. Il est probable que la question du rôle des collectivités dans la relance de la compétitivité industrielle et le dynamisme de l’économie demeurera au cœur des préoccupations. D’ici là seront sans doute affinées non seulement les solutions pour plus de démocratie territoriale mais aussi celle des financements. De façon œcuménique, les responsables territoriaux de gauche et de droite attendent un nouveau “pacte financier” avec l’État. Cela passe par des structures ou des pratiques nouvelles (agence financière, banque régionale d’investissement, modification des missions de la Caisse des Dépôts ou de la Banque postale, etc.) mais aussi par la conciliation de deux aspirations contradictoires : la volonté de l’autonomie et l’exigence d’une meilleure solidarité entre les territoires. Prisonnier de ses propres contraintes budgétaires, l’État ne pourra guère voler au secours des collectivités en accroissant les dotations globales de fonctionnement, qui seront, selon toute vraisemblance, gelées en 2013. Ce contexte de crise peut néanmoins, pour peu qu’il soit bien géré, paradoxalement constituer un accélérateur de réforme puissant.