La marque du véritable écrivain est sa faculté à changer de genre littéraire avec le même brio. Après avoir publié Coiffeur d’âmes (éditions Ex-Aequo), Véronique Mériadec signe Memento Mori (éditions du Bout de la Rue). Dans le premier roman, cette productrice et réalisatrice de films, passée sur le tard de l’écran à l’écrit, étonnait et charmait par son style généreux et enlevé. Un coiffeur prénommé Aubin, en quête de ses origines, racontait les histoires confiées par ses clientes dans des nouvelles rivalisant d’originalité. Le deuxième roman est de construction classique, avec une narration maîtrisée. Il décline chronologiquement le parcours de Michaël, un enfant estonien. Une marionnette écartelée entre l’Est et l’Ouest dans la deuxième partie du XXe siècle.
Le point commun entre ces deux textes tient dans le fait qu’au départ chaque héros ignore sa propre identité. Sans doute Véronique Mériadec s’est-elle inspirée, plus ou moins consciemment, des rencontres survenues lors de ses deux tours du monde, sur mer et sur terre. Sûrement, s’attache-t-elle à dénoncer la cruauté et les paradoxes de certains parcours à travers des péripéties parlant à tous dans Coiffeur d’Ââmes et un destin défiant tout entendement, dans Memento Mori. Des lignes de vie qu’elle transforme en lignes de mystère par l’alchimie de sa plume.
Dans Memento Mori, Michaël a cumulé la malchance de naître en Estonie, au mauvais moment et… surdoué, une qualité qui va se retourner contre lui. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique est avide de conquêtes idéologiques, et pour parvenir à ses fins, elle va se servir de ses élites intellectuelles pour en faire des espions. Elle met en place un système complexe dont ce beau garçon va devenir le jouet. Il est enlevé à sa mère avant d’être déporté dans un monastère finlandais afin d’être éduqué et formé. Dans cette première partie, le quotidien de Michaël et de ses camarades est décrit avec minutie. Il s’apparente aux rites sectaires. Adulte, on le retrouve aux Etats-Unis : marié, père de famille, brillant scientifique. Il croise, à la NASA, l’ingénieur Werner Von Braun, sans soupçonner quel fil les relie… Mais sait-il d’ailleurs qui il est vraiment ? Est-il désormais plus Américain que Russe ? Et quand tombe le Mur de Berlin, lui, la taupe dormante du KGB, en finit par oublier le message censé le réactiver : Memento mori : “Souviens-toi que tu dois mourir”. Parvenu à l’âge mûr, il ouvre enfin les yeux sur la façon dont on lui a volé sa vie. La réalité le rattrape un jour du 3e millénaire qui reste gravé dans toutes les mémoires.
Les recherches effectuées par Véronique Mériadec sur les systèmes sectaires lui ont permis de décortiquer le système d’embrigadement mis en place par les Soviétiques. Elle a mis son imagination au service de ce savoir pour trousser une histoire forte en émotion et en rebondissements. Le lecteur s’attache à cet enfant, puis à cet homme victime de la Guerre froide instaurée entre deux blocs politiques.
Pourtant, Memento Mori n’est pas plus un roman d’espionnage qu’un roman historique, bien que ces ingrédients soient omniprésents dans ce savoureux cocktail. Il s’agit d’une biographie pleine d’humanité qui donne à réfléchir sur l’impitoyable loi exercée par un pouvoir au détriment de la liberté individuelle.
Inévitablement, compte tenu de la profession de l’auteur, l’intelligent scénario est approprié pour une adaptation cinématographique. Un rêve que Véronique Mériadec caresse depuis dix ans.
Par Gérald Massé
Memento Mori
Véronique Mériadec
Édition du bout de la rue
180 pages
18€