Avec ses conséquences à tiroirs, « l’affaire Benalla » – ou ce qu’il est convenu d’appeler ainsi – illustre les plus mauvais côtés de notre vie publique. La phase paroxystique de la crise ouverte par la révélation du comportement de l’ancien garde du corps du chef de l’Etat a donné lieu à de singulières exagérations en provenance des orateurs des « oppositions » à l’Assemblée nationale. Le dépôt d’une double motion de censure a permis certes d’en revenir à des arguments plus structurés, mettant en cause pour l’essentiel le fonctionnement élyséen. Mais cette vaine démarche aura surtout souligné l’incapacité des groupes minoritaires à empêcher l’Exécutif de siffler une sorte de « fin de partie » avant la trêve du mois d’août. La seule véritable victoire du Parlement aura été apportée par le report, sans doute provisoire, de l’examen de la réforme constitutionnelle. Pourtant, la révélation d’une erreur d’embauche dans la garde présidentielle semblait au départ apporter sur un plateau une sorte de « chance à saisir » au Pouvoir législatif… Le moment semblait favoriser l’affirmation d’une autorité législative menacée par la réduction du nombre des élus et le renforcement institutionnel des prérogatives élyséennes. On ne saurait cependant dire, aujourd’hui, à qui profitera la fameuse « aubaine » que d’aucuns avaient cru voir tomber du ciel au seul bénéfice de la démocratie parlementaire en général et des partis d’opposition en particulier. Il est même possible qu’Emmanuel Macron et son entourage – un peu épuré tout de même – profiteront du remue-ménage pour verrouiller un peu plus encore la sécurité comme la communication dans son Palais.
Au bout du compte, il n’est même pas sûr que cette quinzaine de fièvre post-Coupe du monde occupe, rétrospectivement, l’essentiel des discussions en famille ou entre amis sur les lieux de villégiature, tant il est apparu que le feuilleton entretenu par les chaînes d’information a vite lassé une bonne partie de l’opinion. La dictature de l’image réclamerait sans cesse de nouvelles vidéos compromettantes pour tenir le public en haleine alors qu’il y a un temps pour tout. Tôt ou tard viendra l’heure du résultat des investigations judiciaires et administratives. Que l’affaire soit « d’Etat » ou seulement « d’été », on ne le saura finalement qu’à l’automne, pour peu que la curiosité citoyenne ne capitule pas avant en rase campagne. Les étrangetés demeurent trop nombreuses dans le traitement de ce dossier pour que les Français s’en désintéressent. Du moins espérons-le. Puissent les commissions d’enquête, notamment celle du Sénat qui dispose de plus de liberté de manœuvre vis à vis de l’Exécutif grâce à sa majorité d’opposition, garder leur capacité à faire remonter la vérité du puit !
Après six décennies de Ve République et nombre de modifications constitutionnelles, la question du renouvellement des mœurs politiques reste donc toujours, hélas, d’actualité. Du côté de la magistrature suprême, la tentation de la dérive monarchique et les intrigues de cour n’ont pas disparu. On eût cru, en découvrant certaines péripéties récentes, lire des extraits des Mémoires du Duc de Saint-Simon, même si le « lieutenant-colonel Alexandre » n’a jamais eu le panache d’un Lauzun prêt à tout, même à se cacher sous le lit du souverain recevant la Montespan, pour être nommé « capitaine des gardes ». Du côté parlementaire, à l’Assemblée notamment, le fait majoritaire continue à impliquer une telle proximité avec l’Elysée et Matignon que l’on se demande s’il sera un jour possible, comme le disait Montesquieu, d’arrêter un pouvoir par un autre pouvoir. On ne peut pas dire que « l’ère de renouveau » ouverte par la présidentielle de l’an dernier ait beaucoup changé les choses.
Crédit de l’image à la Une : © Vernier/JBV NEWS
Audition d’Alexis Kohler, secrétaire général au Palais de L’Elysée, dans le cadre de l’affaire Benalla.