En ces temps de pesante actualité pandémique, il convient de rechercher avec le plus grand sérieux les occasions de penser à autre chose. Chance (si l’on peut dire), les 1 225 pages du rapport rédigé par l’équipe réunie autour de l’historien Vincent Duclert sont là. Elles apporteront un puissant dérivatif à ceux qui auront le courage de les lire et la force de puiser des leçons dans ce passé dont Françoise Sagan, retournant avec finesse une expression d’ordinaire associée au futur, disait qu’on ne sait jamais ce qu’il nous réserve. Cela se révèle particulièrement vrai à propos de la tragédie du Rwanda, objet du rapport précité, dont la genèse fut longtemps entourée d’un mystère non seulement épais mais poisseux.
Le travail des historiens va faciliter celui des juges mobilisés par de multiples procédures très différentes les unes des autres. Elles opposent encore de nombreux protagonistes devant divers degrés de juridiction. La cour de justice internationale d’Arusha (Tanzanie) est saisie du cas de nombre de personnages peu recommandables mais il faut aussi évoquer les dossiers instruits en France et en Belgique selon des plaignants parfois accusés eux-mêmes, c’est le triste lot des guerres civiles, d’avoir contribué aux massacres.
Le rapport demandé par Emmanuel Macron fournira, autrement dit, ce que l’on appelle des « éléments de contexte », particulièrement précieux lorsqu’il s’agit de juger des faits susceptibles d’être rattachés à une bien réelle entreprise de « génocide ». C’est-à-dire la volonté d’extermination d’un peuple par un autre. Ne pas écrire ce mot en toutes lettres aurait privé de sens le rapport Duclert qui dépasse le cadre politique pour mieux y revenir. Dans le cadre des commissions d’enquête parlementaire, en effet, quantité d’informations utiles ont pu remonter en dépit de la complexité de l’affaire rwandaise. A ce titre, les élus ont effectué ces dernières années un déblayage nécessaire mais pas suffisant. Les interprétations partisanes ont posé des limites, bien entendu. Mais l’ombre de la raison d’Etat a aussi désarmé nombre d’investigations légitimes ainsi que la volonté, sans doute, de ne pas fragiliser la clef de voute de nos institutions : la présidence de la République.
La notion de « domaine réservé » est tellement ancrée dans les esprits depuis l’avènement de la Vème République que peu de gens, même pendant la période de cohabitation allant de 1993 à 1995, trouvaient intérêt à remettre en cause le principe de la toute-puissance élyséenne. Belle leçon pour aujourd’hui ! Prisonniers de leur affrontement pour la magistrature suprême, MM. Balladur et Chirac ont trop laissé faire François Mitterrand qui, entouré de sa petite cour, a joué avec le feu au prétexte d’élargir le champ d’influence de la France aux anciennes colonies belges. La seule excuse – qui n’en est pas vraiment une – que l’on puisse trouver au président de l’époque, c’est que son aveuglement fut assez largement partagé. Ne serait-ce que par le Vatican qui n’a pas su ou voulu imposer son autorité spirituelle quand des Africains parmi les plus catholicisés du continent tuaient dans les églises…