La coopérative propose un modèle de gouvernance différent de l’entreprise capitaliste classique, plus proche des salariés et des territoires, mais auquel certains reprochent un manque d’efficience économique. Est-ce effectivement le cas ?
Absolument pas. De très nombreuses coopératives font partie de nos fleurons d’exportation ! C’est vrai dans de beaucoup de secteurs : l’agroalimentaire, la lunetterie, la mécanique fine ou encore certains domaines de la métallurgie. Les coopératives, en particulier les sociétés coopératives et participatives (SCOP), ont mieux résisté à la crise que les autres entreprises.
Le modèle coopératif n’est pas seulement plus démocratique et plus proche des territoires. Il permet surtout de réinvestir les profits – les coopératives font des profits ! – pour le développement de l’entreprise au lieu de les reverser sous formes de dividendes aux actionnaires. Il est particulièrement efficace car il privilégie l’économie réelle, l’emploi, les conditions de rémunération et de travail des salariés mais aussi les investissements d’avenir.
La crise économique encourage-t-elle les initiatives de coopérative ou au con- traire les complique-t-elle ?
La crise du modèle du capitalisme financier redonne de la force au modèle coopératif et du crédit aux initiatives de création. Toutefois, la coopérative n’est pas un remède pour sauver des canards boiteux, des entreprises non viables.
C’est un modèle particulièrement efficace pour la reprise d’activités qui bien qu’en difficultés, sont rentables, ou lorsqu’un patron veut transmettre le flambeau, par exemple du fait de son âge. De très belles expériences de lancement de coopératives ont aussi lieu dans les nouvelles technologies pour combler un manque de capitaux ou l’absence d’entrepreneur. Mais il est clair que nous n’avons pas encore trouvé tous les outils juridiques et financiers pour optimiser le développement des coopératives et c’est l’un des objectifs du rapport qui fait des propositions concrètes et opérationnelles en ce sens.
Quelles sont les décisions les plus urgentes pour accélérer le développement du secteur coopératif ?
On peut espérer doubler le nombre de salariés en SCOP si certaines mesures sont prises. Première idée : permettre en cas de reprise d’une entreprise de créer un statut de transition vers la coopérative. Dans un premier temps les salariés seront actionnaires minoritaires puis les profits réinvestis accroîtraient progressivement leur part jusqu’à la possession pleine et entière. Ce système fonctionne très bien au Québec. Il suppose de trouver des fonds capables pour compléter les parts des salariés, ce pour quoi nous proposons de mobiliser la future banque publique d’investissement, de recourir à des fonds régionaux en lien avec les banques coopératives ou encore de créer un fonds de développement coopératif abondé par un prélèvement faible sur les bénéfices des coopératives, comme c’est le cas en Italie. Dans ce pays, bon nombre de PMI sont coopératives.
Il faut aussi rendre possible la reprise par les salariés, soit en cas de transmission, soit en cas de fermeture, avant que l’entreprise ne soit déclarée en cessation d’activité. Car bien souvent, du fait des liens avec les clients, la rupture d’activité rend le redressement plus compliqué.
Nous proposons aussi l’instauration d’un droit de reprise prioritaire par les salariés
en cas de difficulté. Nous avons trop vu de repreneurs, fonds de pension ou autres, qui rachetaient une entreprise pour la fermer plus tard ou qui la réduisaient pour récupérer les brevets, les marques ou tuer un concurrent, quand il ne s’agissait pas de délocaliser pour accroître la rémunération du capital. Les coopératives doivent être une alternative à ces situations.
Il est aussi une famille de coopératives en pleine expansion : les coopératives d’artisans, qui mettent en commun des outils de travail nécessitant de gros investissements et proposent des services à leurs membres, même pour développer leurs réseaux commerciaux. On garde l’esprit de l’artisanat et l’autonomie de chacun mais on mutualise les forces pour faire face aux enjeux actuels.
Dans un autre domaine, nous proposons de bien suivre l’évolution des coopératives d’activité qui regroupent des travailleurs indépendants ou les sociétés coopératives d’intérêt collectif dans lesquelles les collectivités locales sont parties prenantes. Il s’en crée dans les professions médicales, dans l’aide à la personne… Là aussi, cela permet de garantir des services indispensables, mais aussi de bien meilleures conditions de vie aux coopérateurs. L’un ne va pas sans l’autre si l’on veut éviter la désertification de certains services dans notre pays, aussi bien en milieu urbain que rural.
Votre rapport se penche notamment sur la question de l’habitat participatif qui permet de recentrer le logement sur sa valeur d’usage, hors de toute logique spéculative. Comment encourager ce type d’initiatives ? Est-ce une piste possible pour sortir de la crise du logement ?
Il existe déjà des coopératives HLM qui développent une activité intéressante en particulier pour l’accession sociale à la propriété. Il faut leur permettre de renforcer leur intervention. Nous proposons la création d’un nouveau produit soutenu par les pouvoir publics : l’accession sociale sécurisée coopérative, permettant en particulier un portage foncier du terrain par la coopérative durant la phase de remboursement
du logement. Nous demandons aussi que ces coopératives puissent devenir prêteuses secondaires à des accédants qui, bien que solvables, ont parfois beaucoup de mal à obtenir l’entièreté du crédit bancaire. De plus en plus d’initiatives de coopératives d’habitants sont prises mais peu parviennent à se concrétiser. Même si fort heureusement il y a des beaux succès, comme le village vertical à Lyon.
Les obstacles juridiques sont très nombreux et notre rapport fait toute une série de propositions pour les lever. Il est trop tôt pour affirmer que ce mouvement va fortement se développer. À l’évidence, il ne suffira pas à régler la crise du logement, mais la création de coopératives d’habitants peut y apporter sa pierre de même qu’elle promeut une autre façon de vivre ensemble.
Un gouvernement de gauche devrait en toute logique faire du développement des coopératives et plus globalement de l’économie sociale et solidaire une priorité. C’est en tout cas le vœu des acteurs de ce secteur. Risquent-ils d’être déçus ?
Je ne le crois pas : le nouveau ministre Benoît Hamon a pris le dossier à bras-le-corps, il a déjà annoncé qu’il travaillait au droit de reprise prioritaire par les salariés en coopérative. Un projet de loi cadre sera présenté avant la fin de l’année. Le rapport du Sénat a choisi des points prioritaires, il a travaillé à des solutions juridiques et financières qui peuvent dès à présent être présentées sous forme d’amendements dans les textes qui viendront en débat à l’automne au parlement, et bien sûr dans la prochaine loi de finance. On peut avancer rapidement et la grande loi sur l’économie sociale et solidaire sera, à n’en pas en douter, un point d’orgue et, je le souhaite, un nouveau départ pour le développement des coopératives en France.