Lors de son déplacement à Clermont-Ferrand, le 20 février dernier, le président de la République dévoilait son plan d’accès au très haut débit visant à couvrir l’ensemble du territoire en fibre optique. Entouré de Fleur Pellerin (ministre de l’Économie numérique) et de Stéphane Richard (PDG d’Orange), François Hollande s’est engagé à couvrir 50 % du territoire en très haut débit dans les cinq ans, puis 100 % dans les dix ans. Un tel déploiement permettrait d’anéantir la fracture numérique qui divise la France et oppose les campagnes aux zones densément peuplées. Surtout, il ferait de l’industrie française un leader dans le domaine du numérique.
Un projet à 20 milliards d’euros
Le coût de ce plan, estimé à 20 milliards d’euros, sera réparti entre trois acteurs : les opérateurs, les collectivités territoriales et l’État.
– les opérateurs supporteront le premier tiers, « le plus rentable qui correspond aux zones denses sera assumé par les opérateurs » a précisé François Hollande ;
– le deuxième tiers sera « cofinancé par ces mêmes opérateurs à partir des infrastructures déployés par les collectivités » ;
– le dernier tiers sera à la charge de l’État et des collectivités qui « devront permettre à chaque citoyen même s’il vit dans une zone déshéritée, fragile, de pouvoir accéder au très haut débit ».
L’État devrait également utiliser les fonds d’épargne comme le livret A, dont le plafond a augmenté. Leurs détenteurs pouvant y placer des sommes plus importantes, le financement du projet s’en trouvera facilité.
En ce qui concerne les professionnels, François Hollande a revendiqué sa volonté de « créer un écosystème favorable pour les entreprises ». Le gouvernement orientera donc 150 millions d’euros provenant du « grand emprunt » vers les sociétés versées dans les technologies porteuses d’innovation comme le Cloud computing, la sécurité de systèmes d’information, la miniaturisation des composants… Le but étant d’encourager ces acteurs qui peuvent apporter un « avantage comparatif » à la France.
Quelques jours après l’adoption de la nouvelle feuille de route pour le numérique, adoptée par le gouvernement, la ministre de l’Économie numérique en a présenté les grands enjeux et les axes prioritaires.
Elle a ainsi réaffirmé l’ambition de faire du numérique une chance pour la jeunesse, de renforcer la compétitivité de nos entreprises et d’assurer la promotion de nos valeurs républicaines dans le monde numérique. « Plus encore, c’est la contre-attaque de l’austérité par le gouvernement, qui, s’affranchit des contraintes budgétaires actuelles pour continuer à investir dans l’avenir. Le très haut débit induira la création de 15 000 à 20 000 emplois directs, dans le génie civil et l’équipement des logements notamment » explique Fleur Pèlerin, chargée de piloter le plan avec Arnaud Montebourg.
Les opérateurs veulent en finir avec l’ADSL
En France, les acteurs du marché du très haut débit sont nombreux et leur rôle respectif d’autant plus confus. Il y a d’une part, l’État, l’ARCEP et les collectivités territoriales, et d’autre part les grands opérateurs nationaux : Orange, Bouygues Telecom, SFR, Free, Alice, Dartybox, Numericable, Axione…
Mais ces acteurs sont les deux faces d’une même pièce et entretiennent d’étroites relations. Un mardi par mois, le premier opérateur historique organise par exemple le « mardi de la Fibre » à Levallois Perret (92). Objectif : sensibiliser et former les élus à cette nouvelle technologie, pour qu’en 2015 la fibre soit présente dans tous les départements soit 220 agglomérations qui représentent 3 600 communes et près de 60 % des foyers français. La visite est une ode au déploiement de la fibre.
Basculer du réseau téléphonique traditionnel utilisé pour l’ADSL à un nouveau réseau entièrement en fibre optique : une idée qui divise le public et le privé. René-Pierre Bidaud, responsable du raccordement client « La Fibre » chez France Télécom Orange en est convaincu, c’est la solution de demain : « Plus pratique, plus économique, plus écologique, plus puissante… Transformer le réseau ADSL et le reconstituer à 100 % en fibre optique est l’objectif de l’opérateur. En plus, tout est made in France : des entreprises aux sous-traitants en passant par les techniciens. »
Mais les élus locaux demeurent un peu retissant au mobilier urbain (poteaux, armoires…) nécessaire au déploiement de la fibre. Pour pallier à cela, un plan d’aménagement prévisionnel est proposé et les élus y apportent leurs changements si nécessaire. Orange compte sur les collectivités pour sensibiliser les bailleurs et faire entrer la fibre dans les logements. Sans cela, le déploiement sera ralenti. En échange de quoi, les élus locaux réclament plus d’engagements concrets de la part des opérateurs.
Maintenant que le cadre réglementaire est établi, ils veulent mettre à plat des calendriers de déploiement, des zones de couverture, des technologies utilisées… « En effet, les investissements des opérateurs se concentrent dans les zones très denses où la plupart des accès dépassent 8 Mb/s. Il n’y a donc pas de réelle urgence dans ces zones où les débits permettent déjà d’accéder à l’ensemble des services. Par contre, de nombreux foyers en zone peu dense ont des connexions inférieures à 4 voire 2 Mb/s et ne peuvent donc pas profiter de la télévision et encore moins de la haute définition. Il faut donc procéder à une montée en débit de ces accès qui ne peuvent attendre 10 ou 15 ans dans cette situation », explique degroupenews, site d’informations sur les télécommunications.
Le retour de l’État stratège ?
Mercredi 27 février, lors d’un petit-déjeuner de presse au Sénat, Yves Rome (sénateur PS de l’Oise), Pierre Hérisson (sénateur UMP de Haute-Savoie) et David Assouline (sénateur PS de Paris) ont présenté les conclusions de leur rapport d’information sur l’action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique. Si le déploiement rapide du très haut débit est une opportunité, la France doit déjà rattraper du retard : elle ne se classe que 23e sur 27 en Europe en termes de taux de pénétration du THD. Pour orchestrer cette mutation d’un réseau ancien à un réseau du troisième millénaire, les co-rapporteurs recommandent un retour de l’État, qui avait abandonné cette ambition au nom de la libre concurrence et de l’économie de marché. L’État stratège doit revenir dans le jeu puissamment, indiquer la direction, la régulation et les moyens financiers nécessaires à la mise en place du THD. Il doit également soutenir les collectivités locales en matière de finances et assurer que les opérateurs ont bien l’intension d’exploiter les réseaux en construction.
Futur succès ou échec retentissant ?
Le projet mené par l’État n’a qu’un seul crédo « l’égalité des territoires ». Derrière cette intention louable, se cacherait aussi « une folie économique dont les gens n’ont pas grand-chose à faire dans certains villages ». C’est en tous cas le point de vue de Philippe Estèbe, qui, dans un entretien accordé à Rue89 sur l’utilité de couvrir l’ensemble du territoire en très haut débit, s’interroge sur le caractère indispensable de l’opération. Il estime que « les pouvoirs publics ont encore cédé au lobby des élus ruraux, pour qui l’espace compte plus que les gens ». Ce géographe et directeur de l’IHEDATE (Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe) remet même cette bonne vieille ligne ADSL au goût du jour : « on peut faire beaucoup de choses avec l’ADSL » affirme-t-il.
Et il n’est pas le seul à s’opposer au plan « très haut débit ». D’autres détracteurs fleurissent un peu partout sur le net. Un délai de 10 ans beaucoup trop long, un coût prohibitif de 20 milliards d’euros, la focalisation sur une seule solution technique dominante (la fibre optique) qui ne tient pas compte des autres évolutions des technologies réseaux en termes de performances et de coûts, et en particulier des réseaux sans fil… les arguments pour expliquer un futur échec vont bon train.