“En France, seulement 25% des colonies nécessaires sont présentes aujourd’hui ”. C’est le cri d’alerte que lance Jean Sabench, responsable de la commission “pesticides” de la Confédération Paysanne, face à la mortalité croissante des abeilles constatée en Europe comme dans le monde depuis 1998. Un déclin pouvant être du à une conjonction de facteurs, la cause principale en étant, d’après cet apiculteur retraité, l’utilisation des néonicotinoïdes : des “molécules pas comme les autres ”. Une famille de pesticides dont la toxicité sur les insectes pollinisateurs a maintes fois été démontrée par les scientifiques. La raison ? Leur action systémique sur le système nerveux des abeilles et des bourdons, nuisant à la fécondité, la longévité, mais aussi l’apprentissage : une désorientation complète, somme toute.
Des pesticides sur la sellette
En ce sens, le rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) confirme la nécessité de “renforcer les conditions d’utilisation de ces produits”. Malgré le manque de connaissance et les incertitudes qui existent encore en la matière, les scientifiques de l’agence rappellent que les néonicotinoïdes ont “des effets sévères en l’absence de mesures de gestion adaptées”. Autant d’éléments qui ont incité le sénateur Joël Labbé à agir dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la biodiversité. Côté agriculteurs, Eric Thiroin, le président de la commission environnement et vice-président de la Fédération nationale des syndicats agricoles, met en garde sur les “conséquences que l’interdiction des néonicotinoïdes aurait sur les revenus agricoles.” Bien qu’estimant que ces pesticides n’ont pas d’“effets néfastes au-delà de ce qui est scientifiquement acceptable”, il a insisté sur “le besoin d’investir en France pour trouver des solutions pouvant supplanter des produits jugés risqués.” Autre difficulté, la législation européenne : comme l’indique Eugenia Pommaret, directrice générale de l’Union des Industries de Protection des Plantes, une “interdiction des néonicotinoïdes zonale en France irait à l’encontre du règlement communautaire européen, ce qui pose la question d’une incohérence française par rapport aux lois qu’elle a votées.” Sauf si l’on invoque le principe de précaution.
Un danger pour les abeilles, mais pas seulement
Aussi nombreuses soient-elles, ces complexités n’excusent en rien l’utilisation des néonicotinoïdes selon Claudine Joly, chargée des pesticides à France Nature Environnement. L’association demande même le retrait complet de ces insecticides en raison de leur toxicité, leur non-spécificité (d’autres espèces en sont impactées) et leur rémanence dans les sols. Sans parler de “l’effet cocktail” en combinaison avec d’autres produits chimiques, ou encore du danger potentiel qu’ils présentent pour la santé humaine, comme l’indique Jean Sabech. “Le thiaclopride, un cancérigène probable ; l’acétamipride et l’imidaclopride peuvent affecter le développement des neurones et du cerveau ; ou encore le thiaméthoxame, un po- tentiel perturbateur endocrinien…”. Autant d’arguments qui n’ont aucune difficulté à convaincre Jean-Marc Bonmatin, chargé de recherches au CNRS et Vice-président de The Task Force on Systemic Pesticides, pour qui “les abeilles ne sont que la partie visible de l’iceberg.” Dans l’attente que les doutes sur les effets réels des néonicotinoïdes soient élucidés, il espère que “l’agriculture s’oriente vers une autre direction, pour jouer avec les lois de la vie et de la nature, et non pas inciter à la mort avec l’utilisation des pesticides.”
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