Le titre de votre ouvrage est un peu fort, quel en est l’objectif ?
Le titre est volontairement provocateur ! Il existe une inquiétude profonde qui règne depuis quelques années sur le pays dû à la conjonction de deux phénomènes. Le monde instable que nous a laissé la guerre froide et dans lequel nous vivons, qui installe une situation de guerre plus ou moins diffuse. Une guerre dont la clé d’interprétation a été évoquée dès les années 90, par Samuel Huntington, au travers de la notion de « choc des civilisations ».
Derrière l’apparence des conflits entre grandes puissances, il y a des bouleversements beaucoup plus profonds qui se trouvent au cœur de l’évolution sociale. L’autre mutation concerne davantage les domaines des idéologies et des grandes représentations du monde, avec un recul de la question sociale au profit de l’identité.
Cette idée a été portée par l’extrême-droite dès le début des années 70, qui a imposé la notion identitaire et s’est appuyé sur les conceptions de Carl Schmitt, un homme politique engagé dans le parti nazi et pour qui le concept de l’ennemi est décisif.
Je pars du principe qu‘avec ces deux notions, l’une plutôt géostratégique et l’autre plutôt idéologique, le résultat est explosif.
Le titre provocateur de mon livre permet, au fond, de se dire que dans un contexte comme celui-la, il faut prendre garde à ce que l’obsession identitaire ne conduise pas à la guerre. Cette préoccupation nourrit une évolution à l’intérieur des sociétés qui peut être redoutable.
Et vous ne croyez pas que le gouvernement s’installe dans cette obsession de l’identité de par la prorogation de l’état d’urgence et la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité ?
Absolument ! Le gouvernement actuel s’inscrit totalement dans cette logique de guerre, consciemment ou pas. Il a tout à fait intériorisé ce que les Etats-Unis ont imposé après les attentats de 2001, avec l’idée que désormais nous sommes placés en état de guerre globale contre le terrorisme.
Le gouvernement entre également dans cette logique identitaire. Nous constatons que la frontière politique prend de plus en plus l’aspect du mur défensif. Les murs entre états mais aussi les murs entres les sociétés comme le fait de chercher à isoler les quartiers les plus dangereux, etc … Nous ne cessons de construire des murs, alors que nous devrions prendre conscience que nous risquons de faire face à une situation ingérable, qui n’est pas sans m’évoquer l’été 1914. Les nationalismes s’affrontent et petit à petit, nous nous engageons dans un processus qui n’a pas nécessairement été voulu, mais qui conduit de fait au cataclysme.
Venant d’un gouvernement de gauche, cela est assez étonnant étant donné que ce parti prône l’égalité, la liberté et solidarité. Pensez-vous que ces valeurs ont disparu aujourd’hui ?
C’est malheureusement le constat que je fais. L’identité est au cœur des idées de l’extrême-droite et s’est petit à petit élargi à la droite toute entière… pour prendre possession de la gauche elle-même.
Au fond, elle intériorise ce que l’extrême a proposé et que la droite a fait sienne, au travers du sarkozysme et du débat sur l’identité nationale. Il est temps de relever la tête et de repartir sur des bases différentes, reprenant l’idée que l’égalité EST la question centrale. A l’échelle planétaire, ce qui produit l’instabilité n’est pas le choc des civilisations, mais la déchirure des inégalités de polarité croissante des bien matériels, des connaissances et des pouvoirs. Il faut se poser la question de savoir comment contredire cette tendance.La solidarité est également pour moi, la forme concrète de la fraternité. La gauche s’est retrouvée dans un engrenage, qui contredit sa raison d’être et qui la met en difficulté.
Dans votre ouvrage, vous déclarez : « Quand la gauche ne se porte pas très bien, la droite prospère » : avez-vous l’impression que c’est le cas aujourd’hui ?
Dans notre société, depuis des siècles, il y a une polarité entre la gauche et la droite, avec en son coeur la question de l’égalité.
Le fondement de la droite historique porte l’idée que l’inégalité est naturelle et positive.
La gauche fonctionne de façon inverse : selon elle, c’est l’égalité qui est naturelle et qui est source de l’équilibre social.
Les deux mouvements se divisent donc sur cette question. Depuis quelques années, ce débat a reculé et a considérablement fragilisé la gauche. La droite se trouve également dans une situation délicate car elle a abandonné dans les années 80, la notion de l’Etat-providence.
Vous condamnez la valorisation de la question identitaire au détriment de celle de l’égalité : n’est-ce pas finalement une réaction naturelle de la part des Français de vouloir se protéger en cette période difficile (attaques terroristes, afflux des migrants) ?
Il est tout à fait naturel que l’on cherche à s’identifier et que l’on se construise par le jeu des appartenances multiples, car notre histoire veut que l’on se rattache à des appartenances particulières. Le problème intervient lorsque l’on passe à une identité fermée, qui devient exclusive et qui s’oppose aux autres.
Malheureusement, la construction des appartenances est positive mais la clôture des identités est dangereuse. Nous vivons une période dans laquelle les identités fermées dominent. Le sens du collectif a aujourd’hui disparu.
La souveraineté populaire relève-t’-elle encore de l’utopie aujourd’hui ?
C’est la question centrale : il y a ce sentiment d’être dépossédé de ses biens, du savoir mais aussi l’impression que d’autres décident à notre place. Depuis le milieu des années 70, les sociétés du monde occidental sont dominées par l’idée d’un excès de démocratie, c’est à dire, trop de demandes qui viennent « d’en bas », que « le haut » ne peut pas traiter, il faut donc le rationaliser.
Je pense surtout que ce dont souffre la société n’est pas d’un excès mais d’une carence de démocratie. La question de la citoyenneté se pose. Nous devons faire en sorte que la responsabilité puisse être exercée par les citoyens, c’est à dire que la démocratie soit de l’ordre de l’implication citoyenne et non pas de la représentation et de l’acceptation du pouvoir technocratique.