La correction de l’article 55 de la loi SRU par la nouvelle loi Égalité et citoyenneté impose, au travers d’un calcul mathématique, la construction de 25 % de logements sociaux sur deux communes de la Communauté d’agglomération bergeracoise. Fabien Ruet, vice-président chargé de la politique de la ville et de l’habitat, nous explique en quoi cette obligation ne correspond en rien aux besoins des populations, et pourquoi l’ensemble des bailleurs n’ont ni la capacité, ni la volonté d’investir sur ce territoire. Il se retrouve ainsi dans une impasse, et ne parvient pas à faire entendre la pénibilité de sa situation à l’État, soulevant un souci d’inefficacité de la loi.
Sur les 38 communes de la CAB, deux sont concernées par l’article 55 de la loi SRU et seulement trois quartiers sont éligibles à la politique de la ville, en quoi cela pose-il un problème majeur pour vos actions ?
La CAB compte 60 000 habitants, dont 28 000 à Bergerac et 4 000 à Prigonrieux. Deux communes représentent donc plus de la moitié de la population et doivent considérer le caractère obligatoire de la construction de logements sociaux, devenu compliqué avec les règles d’urbanisme et de constructibilité. À Prigonrieux par exemple, la préservation des zones périphériques et des terrains agricoles a été extrêmement mise en avant dans le PLUI et dans les recommandations du SCOT. Les obligations sont supérieures à la possibilité d’agissement. À ce problème règlementaire vient s’ajouter une contrainte d’urbanisme. En effet, nos trois quartiers prioritaires sont situés sur le centre-ville, au nord et au sud de Bergerac. Construire davantage sur ces territoires est impossible. À l’image de Creysse, limitrophe à Bergerac, et de ses 34 % de logements sociaux, des petites communes sont dans la dynamique de construction mais ne peuvent pas être prises en compte par la loi pour soulager les efforts de la commune centre.
Quel est le premier impact de la pression sociale exercée sur votre territoire ?
La CAB est un hinterland régional subissant des migrations économique et sociale. Des personnes quittent la misère des milieux ruraux pour la ville centre, où 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté avec un taux de chômage atteignant 37 %. Cette concentration se répercute sur les fonctions du logement social. En son sein, la mixité est vaine. Certaines années, nous parvenons à attribuer 80 à 90 % de ces habitations pour des populations inférieures à 60 % du plafond d’éligibilité au logement social.
Nous avons l’impression d’être la propre limite à l’efficacité des corrections de la loi SRU.
Contrairement à de nombreuses grandes agglomérations et villes, les loyers du privé sont parfois moins élevés que ceux du public sur notre territoire. Le « permis de louer » se met donc en place pour obtenir un régime d’autorisation et de déclaration préalable à la mise en commercialisation sur le parc privé, afin de lutter au maximum contre l’insalubrité et l’indécence.
Pourquoi les nouveaux critères de la loi Égalité et citoyenneté de janvier 2017 (prise en compte d’un indicateur de pression de demandes) n’ont-ils pas modifié votre situation ?
La situation a été aggravée par le passage, du jour au lendemain, de notre territoire en zone tendue ; le taux de tension est de 4,64 (pour une attribution de logement social, 4,64 demandes restent insatisfaites). Cependant, il a été calculé sur un territoire ne correspondant pas à l’agglo, avec l’intégration de communes extérieures, presque à 100 % en quartier prioritaire. Nous avons l’impression d’être la propre limite à l’efficacité des corrections de la loi SRU. De plus, 17 % des attributions concernent des locataires déjà présents qui souhaitent changer d’habitation. Plus d’une sur deux est louée par une personne seule (retraités, familles monoparentales avec enfants, etc.). Ainsi, les sollicitations pour des petits logements sont nombreuses alors que le parc est majoritairement constitué de T3 et de T4.
Nous n’avons jamais eu une demande atteignant 25 % ; de notre point de vue, elle reste plutôt détendue. Paradoxalement, aucun bailleur n’est en capacité de nous en livrer. Mésolia détient notamment 80 % du parc de l’agglo, mais est un bailleur bordelais, et porte donc davantage d’attention à la métropole. Bergerac demeure un pôle secondaire dans sa gestion. Sur cette commune, la livraison de 15 à 20 logements sociaux par an est nécessaire pour arriver à 20 %. Cependant, sur toute la Dordogne, la perspective de construction de Mésolia est de 15 logements par an. Notre principal bailleur n’a donc pas la volonté de construire sur le territoire, et selon son Plan stratégique de patrimoine, en vue de la réforme des APL et de la fusion interne avec d’autres bailleurs, reste dans l’incapacité de le faire. Nous nous retrouvons seuls dans une impasse, face à une contrainte ne correspondant pas à la réalité de nos besoins, et personne n’est en mesure d’apporter une solution.
Quels sont vos moyens pour faire remonter votre situation à l’État, et éventuellement obtenir une exemption ?
Malgré des tentatives via la préfète du département, le préfet de région, ou encore nos parlementaires, la pénibilité de cette situation n’est pas entendue.
Seuls dans une impasse, face à une contrainte ne correspondant pas à la réalité de nos besoins.
D’autres solutions ne sont-elles pas présentes pour contourner vos difficultés et continuer d’attirer les bailleurs sociaux ?
Toutes ces mesures et possibilités légales ont été utilisés :
- la mise en place de régimes particuliers ;
- l’apport de garanties d’emprunt et de subventions (3 000 euros pour tout logement social supplémentaire) ;
- l’exercice du droit de préemption pour libérer des terrains ;
- l’intégration de la nécessité de mixité sociale dans les documents d’urbanisme ;
- l’organisation d’une opération de RHI ;
- la programmation d’une opération de renouvellement urbain.
Nous sommes au bout du processus, pourtant, aucune solution de récupération d’un équilibre territorial n’apparaît.
Comment faire la différence entre vos revendications et celles d’autres EPCI qui refusent la construction de logements sociaux ?
Le souhait d’avoir 20 % de logements sociaux sur notre territoire est bien présent et raisonnable (rythme de 15 constructions par an sur les cinq années à venir), mais les moyens sont absents. L’ordre de grandeur des 25 %, soit 1 200 habitations supplémentaires, ne correspond pas au territoire, avec 2 000 déjà vacantes sur Bergerac. Le risque est donc de voir ce phénomène se multiplier par la prolifération de logements non-nécessaires.
Image à la une : tour de la cité Jean-Moulin dans le centre-vile de Bergerac.