L’âme humaine mise à nu. Traits lissés, regard figé et visage dénué d’expression, telle est la signature magnétique du photographe Oleg Dou, une valeur montante du marché de l’art découvert par Liza Fetissova, commissaire de l’exposition. Inconnu du grand public il y a seulement quelques années, cet alchimiste de l’image s’est très vite imposé grâce à une esthétique aussi lustrée que stérile, reconnaissable parmi toutes. Une griffe découverte par pur hasard, dont le succès est d’autant plus paradoxal que l’artiste « détestait être photographié dans son enfance », vivant chaque prise de vue comme un « véritable traumatisme ». « Le rendu était décevant, j’avais exactement la même expression stoïque sur toutes mes photos…alors la meilleure solution que j’ai trouvée a été de me cacher derrière l’objectif » confie-t-il. Comme pour prendre sa revanche sur cette blessure originelle, Oleg Dou reproduit en série – non sans acharnement et avec une précision chirurgicale – ce visage atone qui fut longtemps le sien. Un plaisir qu’il qualifie lui-même de « sadique », tortionnaire projetant ses propres angoisses dans le prisme occulte que deviennent les modèles. Androgyne, futuriste et quasiment dénuée de chair, cette succession de visages anonymes perturbe autant qu’elle fascine, sans jamais laisser indifférent.
Maniant son objectif comme un scalpel, Oleg Dou exorcise la substantifique moelle de chaque être, pour le transformer en avatar conjurateur de névroses et invitant à l’identification. Rien ne gâche son plaisir : « au final, c’est moi-même que je retrouve dans chacun de ces visages ». Le spectateur pourrait en dire tout autant. Privés de chair, d’identité, voire de la moindre consistance biologique, ces hybrides « mutants » portent une réflexion profonde sur le vivant, l’artifice, la fuite du temps et la jeunesse éternelle. Somme toute, la magie d’être simplement humain. Si les œuvres d’Oleg Dou déroutent tant ceux qui les regardent, c’est parce qu’elles témoignent d’une époque chancelante, dont la perte de repères fait immanquablement écho à la sensibilité de chacun. Anxiogène, car fragile comme de la porcelaine.
Pauline Pouzankov