Le 14 décembre dernier, la nouvelle tombe. Un vote de l’agence américaine de régulation des télécoms, la Commission Fédérale de la Communication (FCC), a mis fin à la neutralité du net. Cela ne parle peut-être pas aux plus de trente ans mais l’enjeu est de taille : Internet tout entier tel que nous le connaissons depuis sa naissance est menacé.
Un principe fondateur d’Internet
La neutralité du net est tout simplement un principe d’égalité dans l’accès de chacun au réseau. Il s’agit d’un des grands principes fondateurs du World Wide Web. Cela implique la non-discrimination dans l’accès à l’information et à l’échange de données. Comprendre par-là que, qui que vous soyez, vous aurez toujours accès sans entrave et de manière égale à internet. Les fournisseurs ne peuvent ainsi bloquer ou ralentir un type de contenu au profit d’un autre.
Des enjeux capitaux
Il y a derrière cette règle un débat idéologique et éthique foisonnant. Ses défenseurs articulent leur discours autour de la nécessité d’une égalité d’accès à Internet au nom de la liberté d’expression et d’entreprise. Casser la neutralité du Net reviendrait à remettre en cause son essence et son fonctionnement tout entier. Sur le plan économique la question se pose aussi. En effet, certains contenus (comme les vidéos) sont jugés “volumineux” par les opérateurs internet. Ces derniers pourraient être amenés à faire payer plus cher les utilisateurs ayant recours à ces contenus en fonction de leur poids. Internet serait alors à deux vitesses.
L’argument des adversaires de la neutralité du Net, souvent les opérateurs internet eux-mêmes, est souvent celui des coûts d’entretien et de fonctionnement de l’infrastructure des réseaux. D’autant plus que ces derniers doivent être modernisés en permanence. Selon eux, expérimenter de nouvelles offres et faire payer davantage les utilisateurs pour des services de plus grande qualité leur permettra d’assumer ces investissements et d’innover davantage. Cette position est cependant loin de faire l’unanimité outre-Atlantique.
Aux Etats-Unis, la chute
En 2015, durant la mandature de Barack Obama, la situation de la neutralité d’internet semblait placée sous de meilleurs auspices. Ses défenseurs ont remporté cette année-là une victoire marquante. A l’issue d’un grand débat sur la question, la FCC avait déclaré Internet “bien public”, à l’instar du réseau téléphonique. Ainsi les fournisseurs d’accès internet (ou FAI en abrégé) étaient dès lors contraints d’en observer les mêmes règles, dont celle de la neutralité.
Sous l’ère Trump, la configuration change rapidement. Fin janvier 2017, le nouveau président américain nomme à la tête de la FCC un adversaire de la neutralité d’internet : Ajit Pai. Il s’était fait remarquer à plusieurs reprises aux Etats-Unis, lors de votes, par son opposition à cette dernière. Il est à noter que Mr. Pai fut pendant deux ans avocat pour Verizon, l’un des principaux FAI du pays. Un an à peine et c’est chose faite : Ajit Pai est arrivé à ses fins puisque la FCC a définitivement entériné la mise à mort de la neutralité d’internet en ce début d’année 2018 par trois voix contre deux.
En Europe, les efforts français
Si l’affaire est de mauvaise augure dans le Nouveau Monde, cela ne veut pas dire que la même situation se retrouve en Europe, du moins pour le moment. Sébastien Soriano, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), a déjà assuré au Monde, et ce dès le 14 décembre dernier, que cette suppression “n’aura pas d’impact direct en Europe.” Et l’intéressé d’ajouter que “l’Internet français est plus neutre qu’ailleurs”, toujours dans les colonnes du célèbre quotidien français. Si le patron de l’Arcep paraît si sûr de lui c’est qu’il peut s’appuyer sur une directive de l’Union Européenne votée en 2015 et qui garantit et protège la neutralité du Net.
Certains en France désirent aller encore plus loin afin de ne pas chuter dans le même abîme que nos cousins américains. C’est le cas de la députée Paula Forteza (LREM) qui a présidé un groupe de travail intitulé “Démocratie numérique”. Dans un rapport qu’elle a rendu début décembre 2017 à son groupe elle propose d’ajouter la neutralité d’internet à la Constitution afin d’en garantir son intégrité. Il n’est pas sûr que cela suffise à l’échelle internationale mais c’est un message fort qui est envoyé aux Etats-Unis et, surtout, à l’UE.
La garde ne doit cependant pas être baissée en Europe au regard de ce qui se passe au Portugal par exemple. L’opérateur lusitanien Meo a contourné la directive européenne susdite en proposant à ses clients une sorte de Web à deux vitesses qui comprend un accès de base à internet et plusieurs offres supplémentaires. Ainsi, un accès illimité à internet par le biais de Meo n’est garanti qu’à condition de s’acquitter de frais complémentaires.