Quelles sont les pistes de réformes pour répondre aux problèmes que vous évoquez dans votre livre ?
L’une des premières pistes, c’est tout d’abord de couper le cordon ombilical entre les laboratoires pharmaceutiques et les politiques qui décident de la stratégie tant sur le prix des médicaments que sur la formation initiale et continue des médecins.
Il faut vraiment que l’on puisse avoir un corps d’experts indépendants comme le contrôle des déclarations d’intérêts par la haute autorité sur la transparence et la vie publique.
J’ai fait des propositions pour réformer le CEPS (Comité Economique des Produits de la Santé) qui est une structure opaque : personne ne sait sur quels critères sont fixés les prix des médicaments. Il faut de la transparence.
D’après vous, quels sont les principaux conflits d’intérêt entre industriels, politiques et autorités sanitaires ?
Sur le plan politique, il est anormal que des ministres de la santé viennent de l’industrie pharmaceutique et qu’un ministre de la santé aille ouvrir, après son mandat, un cabinet de conseil pour l’industrie pharmaceutique.
Prioritairement, il faut clarifier toutes les personnes qui côtoient le ministère de la Santé, mais aussi Bercy et le ministère du Budget, qui font partie du comité économique des produits de la santé.
À mon sens, il faut de la transparence pour accéder à ces fonctions.
Comment faire pour que les médecins soient moins dépendants aux laboratoires ?
Jouer sur la formation initiale et continue. Il faut que l’Etat reprenne le pouvoir par ces formations, que les médecins fassent remonter les effets secondaires.
Je ne doute pas que la plupart des professionnels soient des gens honnêtes ; le problème étant davantage que les publications qu’ils reçoivent sont faites à 90% par l‘industrie pharmaceutique.
Comment votre action s’articule-t-elle avec celle des médecins comme le professeur Philippe Even, qui dénonce notamment les « corruptions et crédulité en médecine » dans son dernier livre ?
L’idée s’inspire de ce qui a été fait en Italie, qui à une certaine époque avaient des dépenses de santé considérables ; aujourd’hui, elles ne représentent que 18 milliards d’euros par an pour les médicaments, contrairement à la France où elles s’élèvent à 34 milliards d’euros.
Il faut vraiment jouer à tous les niveaux : tant sur la prescription, la surconsommation ou encore la surfacturation. Ainsi, ce sont 10 milliards d’euros qui pourraient être dégagés : c’est énorme !
Pensez-vous que l’Union européenne est en train d’abandonner le terrain de la santé ?
Non, je ne le crois pas… Les pays européens sont montés aux créneaux car ils voient bien que le système de la sécurité sociale est en train d’exploser.
Au niveau de la Direction Générale de la Santé, ils n’arrivent pas à obtenir des laboratoires le vrai coût de production du médicament, et surtout combien ils investissent dans la R&D.
Même la commission se rend compte que ce n’est plus tenable comme système, elle n’a pas la compétence du prix du médicament.
En dernier ressort, il y aurait la possibilité, comme le fait l’Inde et le Brésil, d’actionner la licence obligatoire; par exemple, si les médicaments sur le cancer deviennent très chers alors que le coût de production est faible, dans ce cas, les faire produire par des laboratoires génériques.
Dans ce livre, je veux redonner du pouvoir aux politiques, car je suis scandalisée qu’ils ne s’organisent pas plus pour élaborer un bras de fer avec les laboratoires.
Pour moi, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un manque de volonté.