Plus que deux jours pour admirer à Paris le travail halluciné du peintre et plasticien Hervé Di Rosa. L’exposition a lieu à la formidable « Maison Rouge » qu’il faut, là aussi, se presser d’aller voir avant qu’elle ne disparaisse.
Dans le quartier de la Bastille, face au Port de l’Arsenal endormi par des températures négatives, se trouve une pépite pour qui est friand d’art contemporain. La Maison Rouge est une petite étoile, qu’on découvre filante depuis l’annonce de sa fermeture à l’horizon 2018. Son propriétaire, le galeriste et collectionneur Antoine de Galbert, a expliqué qu’il ne pourrait la maintenir éternellement à flots sans subvention publique. Paradoxalement, le mécène préfère cesser l’activité pendant que la réputation du lieu est la plus enviable.
Si ce n’est pas encore le cas, il est alors temps de faire connaissance avec l’endroit, et son pensionnaire pour encore un week-end : l’artiste français Hervé Di Rosa. Instigateur et théoricien de « l’art modeste », ce parisien d’adoption définit ce courant comme « proche de l’art populaire, de l’art primitif, de l’art brut ». Dans une récente interview filmée, il ajoute de son accent du Sud de la France : « L’art modeste c’est essayer de regarder à côté, voir ce qu’il se passe, et pas qu’au centre ». Ce mouvement artistique est aussi mis à l’honneur par l’exposition. Dans une pièce lumineuse à l’atmosphère studieuse, des visiteurs lisent des fanzines sur de gros bancs blancs. Les murs colorés viennent quant à eux rappeler diverses expositions présentées au Musée international des Arts Modestes, créé à Sète par l’artiste lui-même.
Poissons souriants
A travers cette rétrospective de trente ans de carrière, on s’aperçoit qu’Hervé Di Rosa rejoint Jeff Koons dans sa volonté de faire apprécier l’art au plus grand nombre. Il rappelle aussi Duchamp dans son regard décalé face aux objets du quotidien. Son œuvre se forme par l’accumulation de bibelots, la précision de leur agencement, le gigantisme des panneaux peints. Amoncellement de petits jouets face à des peintures condensées sur un pan de mur : l’œuvre de Di Rosa s’avère globale, dense.
D’où l’importance de la scénographie. Très réussie, grâce notamment à l’aménagement intelligent et ludique de la Maison Rouge. Chaque couloir se mue en pièce, un renfoncement nous fait changer d’ambiance, de couleurs. La salle « Sous Marines » est par exemple située en sous-sol. Des peintures de poissons souriants et affublés de grands yeux globuleux ornent les murs, encerclant un véritable aquarium. Un peu gadget, mais en cohérence avec l’exubérance de la vision de l’artiste. On regrette pourtant que malgré les très grands formats, les accumulations minutieuses, l’œil est rarement attiré par un élément plus qu’un autre. On ne passe pas plusieurs minutes à admirer un pied, une soucoupe volante, et c’est bien dommage. Les détails ne parviennent pas toujours à exister par eux-mêmes. Le visiteur, lui, peine à cerner leur portée.
Gueules cassées et broderies espagnoles
Si une œuvre parvient à se soustraire à ce diagnostic, nul doute qu’il s’agit de la « Vie des Pauvres ». Immense peinture de 42 mètres de long englobant le visiteur, ce dernier se retrouve acculé par ces panneaux de kraft qui tapissent les murs et le sol. Les couleurs sont moites, différents tons de brun, de beige et de noir. Un homme passe la tête par sa fenêtre, on lit la terreur dans ses yeux face à cet énergumène obèse qui semble le harceler du bas de son balcon. Les corps sont décharnés, les visages déformés rappellent les gueules cassées de la Grande Guerre. Un couple s’enlace de façon malsaine, plus loin des hommes investissent, dépressifs, un bar abandonné. Au milieu du chaos, une affiche de campagne. Un homme brun aux cheveux bouclés et au visage plissé y sourit, d’un rictus triste et timoré. On peine à y voir là l’homme providentiel que cette foule attend.
À cet arrière-goût de fin du monde succède plusieurs pièces plus pétillantes. « Quel travail ! » se surprend-on à penser au détour d’un patchwork ou d’une sculpture. À l’heure où les cyniques considèrent l’art contemporain plus fainéant que celui des vénérables peintres classiques, Hervé Di Rosa annihile cette critique. Les techniques utilisées et maitrisées sont extrêmement nombreuses : peinture à l’huile, aquarelle, sculpture, collages, couture… Parfois même, une texture se confond avec une autre. La peinture acrylique de l’œuvre « El Manto » est si busquée, tant en relief qu’elle ressemble à des petits morceaux de caoutchouc. Toutes ces façons de travailler les matières, Hervé Du Rosa les a découvertes auprès d’autres hommes et femmes. Dans le passé, il a eu le plaisir de broder avec des Andalouses, de peindre avec des artisans mexicains… L’artiste se nourrit de tout, apprend de tous. Hervé Di Rosa n’est décidément jamais seul.
Exposition « Plus jamais seul : Hervé Di Rosa et les arts modestes »
La Maison Rouge – Fondation Antoine de Galbert
10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris
Jusqu’au dimanche 22 janvier 2017
Photos : © La Maison Rouge.