« On la disait jouée d’avance (…). On la craignait ennuyeuse (…) ». Dès le quatrième de couverture, Soazig Quéméner et Alexandre Duyck sont clairs sur l’image qu’ils vont peindre de l’élection présidentielle de cette année : ils la dérouleront sous forme de feuilleton. Sans voyeurisme, « L’irrésistible ascension » fait la synthèse des mois qui viennent de s’écouler, presque salutaire pour l’électeur lessivé qui peine à croire, par exemple, qu’Emmanuel Macron n’a démissionné du gouvernement Valls qu’en août 2016.
2017, la foire aux mauvais calculs
« Une élection imperdable » pour la droite. Au terme d’un quinquennat si mouvementé, éprouvant et impopulaire, la route semblait déjà toute tracée pour Les Républicains. Nul besoin d’ouvrir le livre pour s’apercevoir qu’il n’en a rien été. Toutefois, le regard intérieur que proposent les auteurs sur les candidats permet de comprendre un peu mieux pourquoi les choses se sont ainsi déroulées. De part en part, personne n’a fait les bons calculs (à part, peut-être, Emmanuel Macron et son entourage). Personne ne s’attendait à rien, ni n’était préparé à quoi que ce soit. De même, les auteurs consacrent un nombre impressionnant de chapitres à François Fillon, Benoît Hamon, et remarquablement peu aux trois candidats « stars » de l’élection : Macron, Mélenchon et Le Pen. Bien sûr, les rebondissements, retournements de vestes et autres péripéties politiciennes sont plus nombreux (et sûrement palpitants) chez les deux premiers. Cependant, l’on peut s’étonner d’un tel décalage de focus entre la réalité de l’élection et ses résultats, comme des pages consacrées à l’un ou l’autre candidat. A cet égard, le choix du titre et de la photo sur la couverture (Emmanuel Macron victorieux) laissent perplexe le lecteur qui referme le livre. Que personne ne s’y trompe : cet ouvrage n’est pas consacré au Président.
Empêtrés dans les toiles de leurs habitudes, de leurs « idylles sondagières » et conceptions de leurs destins personnels, les favoris n’ont pas vu venir de « troisième homme », pour dégringoler souvent bien avant le premier tour de l’élection présidentielle. On pourrait penser que ce bingo des candidats traduit finalement les mouvements d’humeur des électeurs qui, las de mois de campagnes diverses et d’une classe politique peu renouvelée, ont balayé d’un revers de main ceux qu’ils ne souffraient plus. Comme si par exemple, « les obstacles trop nombreux et trop cruels » trouvés sur sa route par François Fillon n’étaient en fait pas la cause de son échec… Celle-ci serait, bien plus simplement, le désamour des électeurs.
Le vent du dégagisme
On le répète à l’envi : une présidentielle qui voit disparaître deux anciens présidents, trois anciens premiers ministres, et la non-candidature de François Bayrou, c’est inouï ! Même Cécile Duflot s’est fait « dégager » de l’investiture à la présidentielle de son parti.
Cela dit, les destins des deux vainqueurs des primaires organisées à droite et à gauche invitent à réfléchir un peu plus loin. Certes, ils ont tous deux bénéficié d’une certaine forme de « dégagisme » à l’égard de leurs adversaires (Valls, Sarkozy…). Troisièmes hommes victorieux, aucun ne s’est pourtant qualifié pour le deuxième tour. Ainsi, victoire par vent dégageur n’égale pas adhésion des électeurs. Il se dessine donc derrière ces jeux d’influence une vérité à méditer : « dégagisme » n’est pas renouvellement profond. Les dynamiques de vote sont fondamentalement différentes, et François Fillon comme Benoît Hamon n’ont certainement pas vu qu’ils étaient les instruments temporaires d’un « nettoyage » de la scène politique par les citoyens. Ceux qui soufflent sur les braises du mécontentement pourraient donc bien se brûler le visage… C’est sans doute un thème de réflexion qu’il serait bon de retenir pour le quinquennat à venir : être « anti-système » ne suffit pas longtemps ; il faut savoir bâtir et créer l’adhésion autour d’une alternative à celui-ci.
En parallèle, ceux qui semblent tirer leur épingle du jeu ressemblent tous étrangement à un homme providentiel. Vieux spectre de la politique française, il plane sur les électeurs cherchant visiblement de maigres traces d’un Bonaparte, un de Gaulle, ou qui sait, un symbolique Vercingétorix. En tous cas, ce que le livre donne à voir des stratégies, des entourages et des manœuvres des candidats permettrait presque de conclure que les électeurs ne fantasment pas seuls un destin présidentiel. Il semble, à quelque(s) exception(s) près, que tous se rêvent aussi en homme de la Providence, à l’instar d’un François Fillon qui « trace [sa] route ». Est-ce une attitude dont la France a besoin pour donner sa voix ? Ou un prérequis pour croire en son élection, puis en faire une réalité ? La victoire d’un Macron « jupitérien » semble aller dans le sens de cette hypothèse.
Les ombres d’une élection
Une ombre plane très clairement sur les pages de « l’Irrésistible ascension » : celle de François Hollande. Lui qui aurait dû, sûrement, être l’une des têtes d’affiches des élections en regarde finalement les résultats en petit comité depuis le Château. De ces pages transparaît un président enfermé dans un système qu’il a lui-même consacré. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur sa décision de participer ou non à la primaire de « la belle alliance populaire », chapitre premier de son renoncement à sa réélection. Homme de parti, c’est finalement sa fidélité aux règles, à son appareil, à sa discipline qui l’aura empêché. Le Hollande dépeint ici est un grand homme d’Etat, mais un piètre politicien. Les pages qui lui sont consacrées, discrètes et sobres, offrent un équilibre nécessaire aux tumultes qui font rage chez les autres.
Puis, il y a ceux dont le livre ne parle pas, ou presque. Marine Le Pen la première. Et pour cause : elle a mené sa campagne de son côté, ses adversaires s’écharpant entre eux, la considérant presque comme inattaquable. La vraie bataille consistait à se hisser au second tour, face à elle. Jusque très tard, peu d’attaques frontales s’abattent sur elle, pour finalement arriver au fébrile front républicain du deuxième tour. Réflexion en filigrane sur l’état de la classe politique actuelle, ce point invite à réfléchir plus loin que la seule campagne.
Quant aux sondages et leur enfant naturel, le vote utile, il en est peu fait état dans l’ouvrage (sauf à expliquer la vague massive de ralliements à Macron). Et pour cause : le livre ne se lit pas comme un essai politique, mais comme un véritable roman… riche en rebondissements.
L’irrésistible ascension, les dessous d’une présidentielle insensée.
Soazig Quéméner et Alexandre Duyck
Flammarion
300 pages
19,90 €
Photo en Une : © Nogues/JBV NEWS