V ingt-deux septembre 1984. À Douaumont, François Mitterrand et Helmut Kohl se serrent la main tandis que résonne “La Marseillaise” en hommage aux soldats français et allemands morts à Verdun. L’image a marqué, symbole fort de la réconciliation entre deux pays longtemps ennemis et qui constitue la pierre angulaire de la construction européenne. La condition de départ est devenue une règle de fonctionnement. Sans accord entre la France et l’Allemagne, l’Union patine.
Rien d’étonnant à ce qu’à peine intronisé à l’Élysée, François Hollande se soit rendu à Berlin. Ses prédécesseurs ont fait de même et la réciproque vaut aussi : lorsqu’ils entrent à la Chancellerie, les dirigeants allemands réservent leur première visite à Paris. Les étiquettes politiques ne comptent guère et, si les liens personnels facilitent les relations, ils s’établissent souvent en marchant. La réalité s’impose toujours : les deux pays sont si liés que tout ce qui se passe chez l’un à des effets chez l’autre. C’est cette entente contrainte qu’espéraient les fondateurs de l’Europe.
Lorsque Jean Monnet et Robert Schuman posent les bases de la construction européenne, ils parient sur le rapprochement économique et sur la force d’un marché ouvert. La France y voit un gage de paix et la République fédérale d’Allemagne, une occasion de revenir dans le concert des nations. La Guerre froide instaurant une menace à l’est, il s’agit aussi de faire front pour sauvegarder la liberté, sous le regard favorable des États-Unis. Des facteurs qui finiront par convaincre les eurosceptiques.
Bien qu’hostile à toute perte de souveraineté, le général de Gaulle appliquera le traité de Rome et renforcera la coopération franco-allemande. Il vainc la méfiance du chancelier Konrad Adenauer, atlantiste par nécessité, et propose le traité de Paris, signé en janvier 1963. Moins de vingt ans après une guerre terrible, Paris et Bonn tournent ensemble la page des conflits passés pour préparer l’avenir.
À cet avenir, deux “couples” travailleront avec force. Il y a eu Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt. Le libéral et le social-démocrate rapprocheront les deux économies, en particulier sur le plan monétaire. Il y eut aussi François Mitterrand, le socialiste, et Helmut Kohl, le chrétien-démocrate. À l’occasion d’une centaine de rencontres, ils pousseront les feux de la coopération dans tous les domaines, le point culminant étant le traité de Maastricht (1992), qui lance l’union monétaire et la création de l’euro.
Des méfiances subsisteront, notamment face à la “grande Allemagne”. François Mitterrand lui-même manifestera les inquiétudes que lui inspire la réunification allemande après la chute du mur de Berlin, en 1989. Certains dirigeants tenteront d’éviter le face-à-face. Georges Pompidou lève le véto français à l’entrée de Londres dans l’Europe. Soucieux de donner au pays les moyens de peser, il le modernise et le hisse à la cinquième place des puissances économiques. Plus européen de raison que de cœur, Jacques Chirac se heurtera parfois à Gerhard Schröder, mais les deux hommes s’accorderont sur les moyens de préserver une Union soumise aux aléas de l’élargissement.
Candidat, Nicolas Sarkozy regardait vers Londres ou Madrid ; élu, il retrouve les impératifs du couple franco-allemand, même s’il y a peu d’atomes crochus entre le président français extraverti et la chancelière réservée. Qu’importe ? Ils œuvreront de concert pour résoudre les crises qui se succèdent depuis 2008. En mars 2012, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel signent le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire, qui renforce les disciplines budgétaires.
François Hollande, alors candidat socialiste, critique vivement ce traité, facteur d’austérité. Une fois à l’Élysée, il le soumet tel quel à la ratification du Parlement, la différence tenant à une “réorientation” affirmée de l’Europe. Ce qui rappelle vivement l’attitude de Lionel Jospin en 1995 à propos du traité d’Amsterdam.
L’axe franco-allemand n’est pas un condominium, mais son poids impose une responsabilité : les deux pays représentent près de 30 % de la population européenne, 34,5 % du PIB et 36 % du budget de l’Union ; ils sont leurs premiers clients et fournisseurs. Sans entente entre eux, c’est toute l’Europe qui se trouve menacée. Qui peut prendre le risque de l’éclatement ?