Destination privilégiée des Impressionnistes au XIXe siècle, l’île de la Seine située entre les rives de Boulogne-Billancourt et de Meudon a hébergé l’usine Renault pendant plus de soixante ans jusqu’à sa fermeture en 1992. Le Département des Hauts-de-Seine y inaugurait l’année dernière la Scène Musicale sur la pointe aval mais les projets d’aménagement des neufs hectares en amont restent l’objet d’un contentieux opposant le Collectif à la municipalité de Boulogne. Celle-ci souhaite bétonner la quasi-totalité de la surface de l’île et y édifier un campus d’entreprises, une tour d’une centaine de mètres de hauteur, un jardin ainsi qu’un hôtel 4 étoiles+. C’était compter sans l’intervention d’irréductibles riverains qui songent à d’autres projets pour l’île et dénoncent le manque de transparence de la municipalité, notamment au sujet de l’état de la dépollution de l’ancien domaine de l’usine.
“Le paquebot de la honte échoué entre les rives de Boulogne et de Meudon”
Rassemblés en collectif, les riverains présentaient au mois d’octobre à Meudon leur projet de “Premier centre de revitalisation de la planète” qui consisterait à dépolluer les sols, recouvrir l’espace d’arbres, fournissant ainsi “un puits de compensation carbone concret à l’appui des engagements politiques de la France” et à construire des locaux hébergeant des ateliers de développement durable : “agroécologie, permaculture, architecture biomimétique… chacun pourrait venir y apprendre des savoirs oubliés auprès de spécialistes.” Le Collectif ne manque pas d’imagination, mais plutôt de soutien des collectivités et de l’Etat. Parmi les citoyens, celui-ci ne manque pas. En témoigne une pétition lancée en janvier dernier par le Collectif, qui a recueilli 22 000 signatures.
“Seuls neuf des 175 pays ayant signé l’accord de Paris ont réellement mis en place les démarches nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.”
L’objectif est double : rendre “un îlot de fraîcheur à un futur Grand Paris qui en a bien besoin” tout en menant un projet environnemental et durable présentant des solutions concrètes aux défis climatiques. “Le projet se veut le détonateur en Ile-de-France d’un mouvement général car les enjeux dépassent l’île Seguin”, a précisé Dominique Bourg, membre dirigeant de l’ex-fondation Hulot et proche de l’ancien ministre. Après la publication du dernier rapport du GIEC le 8 octobre, le projet est d’autant plus retentissant que les spécialistes déplorent l’effet du réchauffement climatique sur la santé. Invité par le Sénat la même semaine, Jean-François Toussaint, médecin et professeur de physiologie, soulignait que seuls neuf des 175 pays ayant signé l’accord de Paris ont réellement mis en place les démarches nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le changement climatique est à l’origine d’une amplification des maladies notamment respiratoires dont l’intensité augmente durant les pics de pollution. La France est d’ailleurs accusée par la Commission européenne de dépasser de façon récurrente le plafond d’émission de particules fines fixé par l’OMS. Dans un arrêt du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat avait enjoint au Premier ministre de tout mettre en oeuvre pour élaborer un plan relatif à la qualité de l’air. En plus de la capacité des arbres à absorber le CO2, Zoï Kapoula, directrice de recherche au CNRS et invitée du Collectif a souligné que “la proximité, ou la simple vue de la nature augmente le bien-être au travail ” et rappelle les impacts bénéfiques pour la santé de l’exposition aux espaces verts. Pour le collectif, la Seine et l’île Seguin ont donc un rôle “salvateur” à jouer face aux vagues de canicules meurtrières.
Les riverains en guerre ouverte pour une île verte
Le collectif croit en la mobilisation d’un mécénat international pour la mise en oeuvre du projet, encore faut-il que la municipalité de Boulogne renonce aux siens. Engagé depuis 2011 aux côtés de plusieurs associations, le groupe de riverains a lutté juridiquement contre les différents projets d’aménagement de l’île. Un premier jugement, rendu par le tribunal administratif de Cergy en 2013 lui a donné gain de cause et annulé le premier Plan Local d’Urbanisme (PLU) aux motifs de l’absence d’étude de sécurité publique et d’évaluation environnementale au préalable. Celui-ci prévoyait l’édification de plusieurs tours sans limitation de hauteur. La commune a ensuite lancé une consultation publique que le Collectif dénonce comme un “faux référendum communal ” organisé au mépris des règles du code des collectivités territoriales puisque n’offrant pas de véritable choix aux habitants de Boulogne- Billancourt. “Le référendum n’impliquait que la taille et le nombre des tours à construire, mais ne proposait aucune alternative à la bétonisation de l’île ! Le choix a donc été dicté par la question posée” lui reproche-t-il.
Après l’adoption de nouveaux plans d’urbanisme successifs, le Collectif est désormais endigué dans plusieurs recours contentieux alors que la municipalité a déjà effectué une promesse de vente à Vincent Bolloré, patron de Vivendi en mars 2017. Pour elle, le financement privé de l’aménagement de l’île permettrait notamment de combler la dette de la Société Publique Locale (SPL) Val de Seine, responsable de l’aménagement immobilier et présidée par le premier maire adjoint à la ville de Boulogne Billancourt. Le projet attend un quatrième PLU, toujours soumis à une enquête publique. Le Collectif espère que celle-ci “permettra de mettre fin à tous les élans spéculatifs en définissant les contours d’une île verte respectueuse de la santé, des sites et des monuments inscrits ou classés aux alentours.” C’est évidemment un appel politique lancé car le projet que propose le Collectif dépasse les vices de procédures mis au jour. Les riverains engagés espèrent obtenir l’appui des collectivités territoriales et de l’Etat. Après le centre Pompidou et la Bibliothèque Nationale de Mitterrand, “pourquoi pas le centre écologique d’Emmanuel Macron ? ” proposent-ils. “En renonçant à bétonner les neufs hectares de l’île et en faisant le symbole de la détermination de la France à respecter la planète, l’Etat deviendra plus crédible pour exiger le respect de la forêt amazonienne, de la biodiversité et des écosystèmes en général ”. Irréductibles certes, mais pour combien de temps ?
Image à la Une : La Scène Musicale sur la pointe aval, une projection du projet de “Premier centre de revitalisation de la planète” en amont sur l’île Seguin (92). © Collectif “Vue sur l’île Seguin”