Pour résumer la situation de l’Europe en 1970, Henri Kissinger se serait demandé qui appeler en cas de besoin. Malgré ses démentis, la phrase a fait florès. Parce qu’elle frappait juste. Agrégation d’États nations, l’Europe n’a pas de visage, même si Herman Von Rompoy en est désormais le président du Conseil et Catherine Ashton, la ministre des Affaires étrangères. Leur rôle est plus de coordination que d’impulsion ou d’exécution. Ils ont été choisis pour cela.
L’Union européenne est une construction originale. Confédérale, elle s’est engagée dans des politiques fédérales, notamment la monnaie unique. Dotée d’un parlement, elle fonctionne sur la base d’un consensus des chefs d’État et de gouvernement. Certaines décisions toutefois se prennent à la majorité qualifiée, au risque d’imposer à des pays des mesures dont ils ne veulent pas. D’où des traités qui s’empilent, des institutions complexes que les Européens ignorent souvent, un déficit démocratique toujours dénoncé. D’où le sentiment d’une autorité obscure – “les technocrates de Bruxelles” – qui déterminerait le sort de 503 millions de personnes sans leur demander leur avis. Ce sont pourtant bien les dirigeants des 27 pays, élus par leurs peuples, qui décident.
À cette distance entre gouvernants et gouvernés s’ajoute la virtualité de l’identité européenne. L’union se dit “unie dans la diversité” ; c’est cette dernière qui apparaît d’abord : 23 langues officielles et plus encore de parlées ; des paysages nordiques et méditerranéens ; des régimes parlementaires, présidentiels ou de monarchies sans pouvoirs ; du droit anglo-saxon et du droit latin ; des Églises d’État et des États laïcs ; des buveurs de café et des adeptes du thé… La crise de l’eurozone fait ressortir les stéréotypes et oppose les économes du nord aux dépensiers du sud.
“Nous avons l’Europe, nous avons maintenant besoin des Européens”, a résumé le Polonais Bronislaw Geremek. Les étudiants d’Erasmus se considèrent comme tels. Mais il y a tous ceux à qui le saut dans le futur fait peur.