Les europhobes pestaient naguère contre la bureaucratie bruxelloise qui prétendait régir les chasses traditionnelles ou réglementer la fabrication du fromage. Heureux temps que l’on va finir par regretter. Car la critique s’inscrit carrément, aujourd’hui, dans le registre diffamatoire. Elle s’en prend aux hommes, en l’occurrence Robert Schuman, Jean Monnet et les pères de l’Europe, dont la mémoire est notamment salie par l’atrabilaire Philippe de Villiers. Elle s’attaque plus que jamais aux bases mêmes de la construction communautaire.
Péremptoires en tous domaines, les extrémistes continuent le jeu en forme de sophisme qui leur avait déjàbien réussi la dernière fois : fustiger les institutions tout en souhaitant siéger en leur sein et profiter au maximum des libéralités que le Parlement européen accorde àses élus. Théoriciens de la non-appartenance àl’Union européenne mais dans l’immédiat contents que celle-ci leur offre des perspectives de voyages et d’épanouissement personnel, ils se préparent avec délectation au rendez-vous électoral du 26 mai. Une fois encore, leur rhétorique simpliste autour du double thème des écarts de revenus et de l’immigration. Face àeux, le camp des europhiles souffrira des divisions inhérentes àla vie politique nationale. Mais il y a longtemps que l’on connait le schéma. Derrière les européennes, il y aura les municipales et les sénatoriales puis dès 2021 les différents scénarios pré-présidentiels en vue de l’échéance capitale de l’année suivante. Les partis ont besoin de se compter et le quinquennat accélère le calendrier du « tri des ambitions ». Résultat : on risque de ne pas beaucoup parler de l’Europe.
Une crise comme celle des gilets jaunes, qui est loin d’être terminée, devrait pourtant inciter àune véritable pédagogie européenne. Pourquoi ne dit-on pas, dans ce qu’il est convenu d’appeler« le grand débat »que les grandes disparités de niveau de vie entre pays d’Europe seraient plus considérables encore sans les solidarités obligées entre partenaires ? Pourquoi n’explique-t-on pas plus précisément que la facture énergétique de la France, par exemple, serait impossible àacquitter avec une simple monnaie nationale et sans le secours d’une monnaie aussi forte que l’euro l’est par rapport au dollar ? Pourquoi ne dit-on jamais, en outre, que l’Europe institutionnelle se dévore les entrailles en laissant pratiquer une concurrence fiscale sauvage entre ses états membres ? Autant de questions qui démontrent que l’Europe est encore trop inégalitaire, en dépit de ses avantages réels sinon apparents, pour se défendre en majestéface aux critiques faciles. Ses défenseurs devront argumenter, se battre et ne pas craindre le simplisme des adversaires. Etre « europhile »sans passer pour « eurolâtre »- car il n’y a aucune raison de l’être: telle est la difficulté.