En politique, c’est bien connu, l’irréel fait depuis longtemps partie du réel. Entendons par là que lors d’une année électorale – et celle que nous traversons n’est pas tout à fait terminée – les mythes font cortège à l’action. Le rêve de la cité idéale nous reprend. L’affectif, la séduction, le rêve et l’imagination, mais aussi la détestation et le désamour, occupent les esprits. Jusqu’à ce que toutes ces pensées en liberté ne se traduisent par les images bien concrètes d’un président à l’Elysée, d’un gouvernement installé et d’une assemblée nouvelle qui travaille en été. Fin d’un printemps prolongé. Arrivée d’un automne laborieux…
Est-ce à dire que la fête est finie et qu’il est l’heure de balayer les confettis ? Pas tout à fait. Car il ne faut pas confondre retour à la réalité et retour au passé. On dit beaucoup de choses en campagne et puis on se cogne la tête, une fois au pouvoir, aux insuffisances d’un Etat à bout de souffle. N’était-ce pas couru d’avance ? Certes mais Emmanuel Macron et les siens sont comme tous leurs prédécesseurs. Sans trop oser l’espérer, ils ont cru que « l’effet dynamique » du changement créerait une sorte de « new deal à la Roosevelt » pour user d’un cliché devenu mythologique au sein du village démocratique. Bien que les indicateurs économiques ne soient pas mal orientés, rien cependant ne laisse prévoir le regain de croissance qui permettrait de réduire les dettes et, surtout, d’alléger les déficits qui les creusent inexorablement.
La science politique étant un vieux mélange de droit, d’économie, de sociologie et d’anthropologie, le seul rétablissement des finances – même si tout y ramène – ne suffirait pas à transformer le début de l’ère Macron en une esquisse d’âge d’or. On va beaucoup parler de Code du travail. Mais il y a aussi cet interminable état d’urgence, la question des migrants et ces difficultés sociétales qu’il est inexcusable de voir aussi mal traitées depuis des années, comme l’accueil acrobatique des bacheliers dans l’enseignement supérieur et tout ce qui mine le présent : pollution, insécurité, arnaques numériques, scandales alimentaires et sanitaires, etc…
Les rentrées suivant une période de redistribution des cartes du pouvoir sont toujours les plus délicates. On se souvient encore du « choc » que furent les mesures Juppé, à l’automne 1995, après l’euphorie de la campagne d’un Jacques Chirac qui, pour mieux triompher de son rival Edouard Balladur, avait promis d’en finir avec « la fracture sociale ». La ponction sur la CSG et autres joyeusetés – comme la diminution symbolique de l’Aide au logement – donneraient donc, cette fois-ci, une impression de déjà vu si la perspective d’une gueule de bois après la fête ne s’apparentait pas à un procès d’intention. Il reste encore quelques semaines pour croire aux vertus d’une méthode Macron qui, elle, ne s’apparente pas trop aux conduites d’hier. Nul être sensé ne saurait s’élever contre le volontarisme prêché et communiqué, le désir d’aller vite et de mettre en avant souplesse et innovation. C’est cependant un quitte ou double. Car l’excès de contrôle en matière de communication élyséenne ou le coup de rabot sur les effectifs des cabinets ministériels pourront, par exemple, être perçus selon les jours comme la marque de l’autoritarisme vain ou comme le triomphe de l’efficacité retrouvée. Tout dépendra de la météo sociale.