Le difficile accord budgétaire intervenu en février 2013 entre les chefs d’État et de gouvernement de l’Union va entrer en discussion à Strasbourg et Bruxelles. C’est une bonne raison de s’intéresser à une institution parlementaire qui s’efforce « d’inventer la démocratie en Europe », alors que se profilent les prochaines élections européennes qui auront lieu en juin 2014. Un futur test pour toutes les formations politiques.
L’Union européenne compte 500 millions de citoyens et, à ce jour, 27 pays membres. Cette communauté hétéroclite est organisée autour de trois institutions, le conseil des ministres, la commission et le parlement européen, incontestablement l’instance la plus démocratique de cette Europe, puisque les députés y sont élus au suffrage universel depuis le 17 juin 1979.
Ce parlement exerce trois pouvoirs essentiels.
– il se prononce sur les directives et règlements qui constituent la législation européenne ;
– il vote le budget communautaire. Il aura ainsi à ratifier l’accord intervenu en février 2013 par les chefs d’État et de gouvernement. Et ce projet de budget pour les années 2014/2020 sera sérieusement discuté, amendé et malmené par les députés européens ;
– il contrôle l’action de la Commission et du conseil des ministres. Il élit le président de la Commission et le haut-représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.
Pourtant, si ce parlement est doté de pouvoirs considérables, il est encore mal connu des citoyens européens.
Qui sont les députés européens ?
Les parlementaires européens sont, pour la plupart, élus au scrutin proportionnel de liste. Ces listes sont nationales ou régionales. Les pays les plus peuplés ont opté pour des scrutins régionaux. Les « petits » pays votent dans le cadre d’une circonscription nationale unique.
Le choix du mode de scrutin a fait l’objet – particulièrement en France – d’un débat politique acharné. Notre pays avait initialement adopté le scrutin proportionnel dans le cadre d’une circonscription unique. Les listes nationales permettaient surtout aux diverses formations politiques de faire élire des personnalités qui éprouvaient quelques difficultés à se faire élire à l’occasion des élections nationales. L’élection européenne était de la sorte une session de rattrapage pour hommes et femmes politiques en mal de mandat.
Les choses ont changé en 1999. Majorité et opposition de l’époque se sont entendues pour modifier le mode de scrutin. Au scrutin national (une seule circonscription) ont succédé des circonscriptions régionales. Officiellement, il s’agissait alors de « rapprocher l’élu de l’électeur ». Officieusement, il était surtout question d’éviter que l’élection européenne tourne au référendum pour ou contre le pouvoir en place. Il s’agissait également d’éviter aux chefs de partis de s’exposer aux humeurs du suffrage universel. La tradition voulait en effet (depuis 1979) que les dirigeants des diverses formations politiques mènent la liste nationale. Depuis 2004, les députés européens français sont élus dans huit circonscriptions dites « régionales ».
Cette modification est largement hypocrite. En quoi l’élu de la désormais circonscription du nord-ouest est-il proche de ses électeurs ? On voit mal en effet ce qui rapproche l’électeur de Saint-Malo de celui de Lille. La motivation réelle de cette modification du mode de scrutin, tient à la crainte des grands dirigeants politiques d’affronter le suffrage universel et de subir de la sorte un échec humiliant.
L’expérience politique des années récentes a montré que les patrons des grands partis politiques prenaient des risques importants dès lors qu’ils étaient quasiment automatiquement tête de liste. L’épisode de 2004 en témoigne. À l’époque, Nicolas Sarkozy, président par intérim du RPR après le retrait de Philippe Séguin, naturellement désigné comme tête de liste de son parti, avait essuyé un échec cinglant. Avec à peine 12 élus, le RPR était alors devancé par une liste dissidente menée par Charles Pasqua et Philippe de Villiers. L’adoption d’un nouveau mode de scrutin « régionalisé » évitait ainsi aux principaux dirigeants politiques de risquer un camouflet électoral fâcheux à l’échelle nationale.
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour revenir au mode de scrutin initial, à savoir une élection dans le cadre d’une circonscription nationale. Roger Gérard Schwartzenberg a ainsi déposé une proposition de loi en ce sens.
Des élus de second rang ?
Les 78 parlementaires européens de nationalité française (L’Allemagne réunifiée en compte 99) sont très inégalement médiatisés.
Cela tient au fait que les élus – surtout dans le cadre d’un scrutin de liste national – sont choisis par les états-majors des partis politiques. Beaucoup ont ainsi recruté leurs candidats au sein de la société civile. Ce fut le cas, en 1999, d’Hélène Carrère d’Encausse. Choisie comme tête de liste, cette académicienne, secrétaire perpétuelle de l’Académie française a accompli un seul mandat au parlement européen.
On compte pourtant de vraies vedettes politiques dans les rangs des élus français. Il y a eu d’abord évidemment Simone Veil, première présidente du Parlement européen élu au suffrage universel. D’autres stars politiques et médiatiques ont plus ou moins longtemps trouvé refuge à Strasbourg. Valéry Giscard d’Estaing (de 1989 à 1993), François Bayrou et Nicolas Sarkozy (qui a cédé son siège à Brice Hortefeux) ont fréquenté l’hémicycle du Parlement européen. Les personnalités écologiques les plus médiatisées, José Bové, Éva Joly, et, bien sûr Daniel Cohn-Bendit, sont parlementaires européens. La gauche radicale y est représentée par Jean-Luc Mélenchon. François Hollande a recruté dans les rangs du parlement de Strasbourg deux ministres importants, Benoît Hamon et Vincent Peillon. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Harlem Désir, siège à Strasbourg. Et Rachida Dati, ancienne garde des sceaux du premier gouvernement Fillon s’ennuie fermement et ostensiblement sur les bancs de l’assemblée européenne. Il n’empêche que la sinécure strasbourgeoise est confortable.
Des parlementaires bien servis
La fonction de député européen est particulièrement bien rémunérée. Il y a, encore aujourd’hui des distorsions de traitement entre les élus des différents pays membres. Mais on s’oriente vers une harmonisation des rémunérations. Les députés européens devraient bientôt recevoir un traitement de 7 000 euros. Somme à laquelle il convient d’ajouter des sommes non négligeables destinées à rémunérer leurs collaborateurs. Il y a pourtant une restriction à cette générosité. Les députés (comme par exemple Marine Le Pen pour les élus français) voient leur rémunération amputée en cas d’absentéisme.
Strasbourg ou Bruxelles ?
La question du siège du parlement européen empoisonne, depuis sa création, la vie de cette assemblée. Strasbourg a été initialement choisie pour d’évidentes raisons historiques. Mais la multiplication des domiciliations de l’Union complique la vie des élus et de leurs collaborateurs. C’est pourquoi de nombreux élus contestent la permanence du siège strasbourgeois. À commencer par les députés britanniques qui souhaitent un regroupement des instances européennes à Bruxelles. Mais la France, par la voix de ses présidents de la République et de ses premiers ministres successifs tient bon sur la question. Strasbourg restera donc le siège officiel du Parlement européen. Un choix conforté par une décision du Conseil européen (Edimbourg, 1992) fixant définitivement le siège du Parlement européen dans la capitale alsacienne.
Quel avenir pour le Parlement européen ?
Organe clé de l’Union européenne, le Parlement européen a acquis au cours des années des pouvoirs renforcés. Il contrôle la Commission et vote le budget de l’Union. Ce n’est cependant pas tout à fait un parlement comme les autres. Ses particularités tiennent d’abord au fait que les députés qui y siègent appartiennent à 27 États différents. Il est ainsi contraint d’inventer une démocratie différente, sui generis. L’observateur politique est ainsi surpris par certaines pratiques inédites. La division traditionnelle entre gauche et droite qui existe dans la quasi totalité des parlements nationaux n’est pas aussi tranchée à Strasbourg. C’est ainsi que la présidence du Parlement européen est partagée entre les deux principales formations de cette assemblée. Au cours d’une mandature de cinq ans, la présidence est exercée pendant deux ans et demi par un député du PPE (Parti populaire européen, de droite) puis par un député du PSE (Parti socialiste européen). L’assemblée de Strasbourg est de la sorte davantage portée au consensus qu’à l’affrontement.
Elle est aussi moins compassée, moins formaliste que les parlements nationaux. Imaginerait-on au palais Bourbon, au Bundestag ou à la chambre des communes des élus en jeans et sans cravate ? Imaginerait-on, comme on l’a vu récemment lors du déplacement de François Hollande à Strasbourg, un parlementaire (en l’occurrence Daniel Cohn-Bendit) interpeler le président de la République française en l’appelant par son prénom et en le tutoyant ? Décidément, cette assemblée n’est pas tout à fait comme les autres. Et c’est tant mieux. Reste à ce parlement à prendre la main de plus en plus souvent. Il est en effet l’expression et le garant de la démocratie en Europe.