Le vote du Bundestag, une décision réaliste ?
Que signifie une telle décision pour l’Allemagne, s’est d’abord demandé Jan Horst Keppler, en sa qualité de modérateur du débat : est-ce un pas courageux vers les énergies renouvelables ou un repli craintif vers un passé idéalisé ?
Selon Christian Hey, l’expert, produire 100% de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables à l’horizon 2050 est tout à fait réaliste, et même possible pour un coût inférieur à celui des systèmes traditionnels. Aujourd’hui, de telles prédictions sont confirmées par un important corpus de recherche, suffisamment convaincant pour que le gouvernement allemand valide cette stratégie.
Mais Dominique Maillard, l’industriel, soulève deux lourdes incertitudes : d’abord saura-t-on développer des technologies de stockage de l’électricité suffisamment efficaces sans être trop coûteuses ? Ensuite pourra-t-on mettre en place un véritable réseau de distribution (qui plus est dans un contexte de crainte des champs magnétiques) ? Ce sont là deux conditions sine qua non au bon fonctionnement d’un système fondé sur les énergies renouvelables. A ce titre, il démonte le mythe selon lequel les énergies renouvelables fonctionnent sur des modèles d’approvisionnement local. Etant donné que la production est indé- pendante de la consommation, il faut être capable de l’exporter vers les zones qui en ont le plus besoin pour compenser les hausses imprévues de la demande, et ce également à l’échelle européenne.
Barbara Sellier rappelle que la création d’un marché intérieur de l’électricité fait partie des priorités de la Commission européenne en matière d’énergie. Mais elle précise aussi que la Commission n’a pas son mot à dire sur les bouquets énergétiques des différents Etats – si ce n’est via l’objectif de 20% de renouvelables, premier de ce type à exister au niveau européen.
Une décision responsable ?
Le député Alain Gest s’interroge sur le changement de positionnement d’Angela Merkel sur la question du nucléaire, en quelques mois seulement, d’autant plus qu’il intervient après la catastrophe de Fukushima et une élection locale perdue par la majorité de la Chancelière. Or, il est “délicat de donner le sentiment que l’on réagit dans l’urgence et sous le coup de la peur légitime des populations vis-à-vis de ce qu’il s’est passé au Japon”. Pour le député, les caractéristiques géographiques ou sismiques du Japon ne sont pas comparables à celles de l’Europe.
Mais pour Christian Hey, le revirement n’est pas tant dans le rejet récent du nucléaire que dans son acceptation six mois plus tôt : la situation actuelle est un retour au consensus qui avait été trouvé il y a 10 ans en Allemagne. Aujourd’hui, le consensus national est un positionnement très fort : tout le monde est d’accord sur ce qu’il refuse, ce qui encourage à réfléchir collectivement aux alternatives.
Mais ce choix n’est pas sans conséquence, rappelle Alain Gest. Celles-ci seront d’abord financières : l’Allemagne devra, d’après lui, payer son électricité 20% plus cher. Il affirme même que pour compenser, les Allemands vont devoir acheter de l’énergie nucléaire produite par la France… qui va devoir réfléchir au prix auquel elle va la lui vendre ! En effet, pour M. Gest, “on peut pas à la fois se dégager d’une méthode de production qui peut inquiéter et en même temps l’acheter à bon compte à ses voisins !” Ce à quoi Christian Hey répond que tout est question de point de vue : si la transition vers les renouvelables va coûter, il faut considérer les sommes engagées comme un investissement pour un système durable et long terme.
Les conséquences sont aussi environnementales, ajoute M. Gest, puisque pour assurer la transition du nucléaire vers le renouvelable, il faudra du temps, un temps pendant lequel l’Allemagne devra avoir recours à des énergies de substitution carbonées. Mais, explique-t-il, augmenter les émissions de CO2, grâce au système d’échange de crédits carbone ETS, signifie aussi faire grimper le prix du carbone, donc inciter à réduire la consommation d’énergie, ce qui est une bonne chose. Pour lui, il n’y a aucun danger que l’Europe n’atteigne pas ses objectifs à cause de l’Allemagne.
M. Maillard ajoute une autre dimension à cette question : sur le court terme, avec la fermeture des sept centrales, comment faire face à la demande d’énergie hivernale ? Avec les énergies renouvelables, la pointe de production ne correspond pas à la pointe de consommation, ce qui pose problème : si l’hiver est particulièrement froid, l’énergie risque de faire défaut. Finalement, si l’échéance de 2050 est tout à fait acceptable, celle de 2022 est plus inquiétante.
Qu’en est-il pour la France ?
Pour Alain Gest, il est clair que les Français ne sont pas prêts à faire un tel virage. En Allemagne, le secteur des énergies renouvelables crée beaucoup d’emplois. En France, il n’en crée que très peu, à l’inverse de la filière nucléaire.
En revanche, il est inexact de penser que tous les Français sont favorables au nucléaire, consent Dominique Maillard : la moitié est pour, un tiers est contre, et le reste est indécis. Mais il est tout aussi faux de voir la France comme désormais isolée parmi ses partenaires mondiaux. Certes, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse se distancient du nucléaire, mais Britanniques et Finlandais, aussi bien les gouvernements que l’opinion publique, restent fermement en sa faveur. Même chose pour les autres “Grands” du monde, comme la Russie, la Chine et l’Inde. Et malgré le moratoire actuel, les Etats-Unis restent la première puissance nucléaire civile au monde.
Il n’empêche que les Allemands ont choisi, et qu’il faut respecter ce choix sou- verain tranche M. Maillard. Une idée qui n’est pas forcément transposable à la France selon M. Gest, pour qui “les élus politiques ne sont pas là pour lire les résultats des sondages sur des sujets aussi stratégiques puis les mettre en œuvre, ils sont là pour se demander quelle est la meilleure solution possible”. Et pour lui, c’est le nucléaire qui assure la plus importante indépendance énergétique à la France. Il serait irresponsable de changer brutalement son fusil d’épaule. Même si l’opinion publique rejette cette énergie demande M. Keppler ?