Christiane Taubira est-elle une émule de feu Thierry Sabine ? Lorsque celui-ci a créé le Paris-Dakar, en 1978, celui-ci avait remarqué qu’après le solstice d’hiver et les fêtes, le public n’appréciait pas tant que cela que l’actualité se repose et s’ennuyait un peu devant sa télévision. D’où l’idée de créer un événement riche en images et susceptible d’être largement couvert dans une période non saturée en information. La garde des sceaux a donc choisi le 27 janvier et non le 23 décembre pour démissionner, alors même qu’à cette dernière date elle avait été amené à dire, notamment sur une radio algérienne, qu’elle n’approuvait pas la décision de François Hollande de maintenir l’inscription de la déchéance de la nationalité dans le projet de réforme de la Constitution. Ce « timing » surprenant conduira à une aberration trop peu dénoncée d’ailleurs par les députés de l’opposition : le gouvernement a soumis au vote de l’Assemblée un texte signée par une ministre connue pour en désavouer le fond et du reste même plus en fonction au début de la discussion. Cela rappelait le chef d’oeuvre juridique de la « loi devant être promulguée mais non appliquée » (en dépit de l’approbation du Conseil Constitutionnel) au moment de la crise du « Contrat Première embauche » sous Dominique de Villepin en 2006. C’est à des détails de ce genre que l’on s’aperçoit que la Vè République marche de temps en temps sur la tête et de plus en plus souvent…
L’exfiltration de Christiane Taubira est donc arrivée dans une période creuse de l’actualité, ce qui a autorisé toutes les exégèses médiatiques, éclipsant l’arrivée place Vendôme de son successeur Jean-Jacques Urvoas, lequel devra attendre quelques semaines avant de faire parler de lui sans que son nom soit forcément associé à celui de sa spectaculaire devancière.
Personnage atypique dans notre paysage démocratique, l’ancienne indépendantiste guyanaise demeure une oratrice hors pair. Elle a trouvé, en inaugurant ses fonctions dans l’équipe Hollande- Ayrault, un sujet à sa démesure, car se prêtant plus qu’un autre aux envolées lyriques, avec le « Mariage pour tous ». Ses interventions pleines de fougue, de poésie et d’humour, en dépit des foules considérables rassemblées dans la rue par les adversaires de la réforme, ont transformé cette réforme en une sorte de feuilleton faisant entrer « Les feux de l’amour » dans la culture gay. Plus tard, elle fut accusé e de laxisme en matière de justice répressive. Mais cela ne compte guère. Tous les ministres de la Justice pensant à gauche ont été en butte aux mêmes critiques. Et cela n’a jamais empêché les prisons d’être surpeuplées, à toutes les époques…
Remarquée par Bernard Tapie
Christiane Taubira passe pour être une « trouvaille » de Bernard Tapie et ce n’est pas faux. Le grand trapéziste des affaires politico-financières a d’ailleurs glissé, à toutes fins utiles, lors d’une émission récente, qu’il avait patronné ses débuts politiques. Peu s’en souviennent. Il faut remonter pour cela à l’inénarrable opération de style « Tontons flingueurs » commanditée avec gourmandise par François Mitterrand en 1994 lorsqu’il s’agissait d’amoindrir Rocard et les siens en organisant le succès de la liste « Energie radicale » aux européennes. Soucieux de plaire à l’hôte de l’Elysée, Bernard Tapie avait demandé à Christiane Taubira (alors plutôt proche d’Edouard Balladur) de figurer (avec d’autres tempéraments flamboyants, tel Bernard Kouchner) sur cette liste. A la manoeuvre se trouvait un personnage intéressant, l’avocat bourguignon installé à Mayotte Jean-François Hory qui fut, parmi d’autres aventures, l’un des éphémères compagnons de route de Bernard Tapie et président du Mouvement des Radicaux de Gauche devenu depuis le PRG.
Bien après que Christiane Taubira se soit distinguée lors de la présidentielle 2002 en contribuant à l’élimination de Lionel Jospin, on retrouva curieusement Jean-François Hory dans les coulisses de la réforme constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy en 2008. Il semble avoir eu pour mission de veiller à ce que les suffrages de gauche radicale – dont celle de Christiane Taubira – en faveur de la « Constitution Sarkozy » ne se perdent pas dans les couloirs du Congrès à Versailles. En tous cas, Jean-François Hory a été récompensé par une nomination au Conseil d’Etat par le tour extérieur. Christiane Taubira ne saurait donc être rangée parmi les « frondeurs » de la gauche idéologique. Son verbe hugolien et la convocation régulière du « Panthéon ultra-marin » ‘Césaire, Glissant…), selon le mot du journaliste Yves Tréard du « Figaro » ne feront jamais oublier qu’elle a fréquenté les « durs de durs » du village politique et qu’elle est tout sauf naïve.
Nul ne connait vraiment – et surtout pas ceux qui ont l’air d’être bien informé – la nature de ses actuelles ambitions ni l’épaisseur de son deal avec le chef de l’Etat. Son départ a été présenté comme un abandon du navire hollandais alors que celui-ci pencherait plutôt à droite. Avec l’aide de ses amis des éditions Philippe Rey, elle a réussi – toujours « la stratégie Sabine » – à occuper l’actualité au-delà même de sa démission en faisant suivre celle-ci de la parution d’un livre imprimé en Espagne. Sur la quatrième de couverture, elle n’en est pas moins présentée comme « Garde des sceaux ». Cette curiosité politico-littéraire » intitulée Murmures à la jeunesse, se présente comme une exhortation au courage intellectuel. « Il faut refuser, malgré les intimidations, de capituler intellectuellement, écrit-elle notamment. Oui, il faut comprendre pour anticiper et aussi pour ramener du sens au monde. Que les cris des tyranneaux de la pensée cessent de tétaniser nos esprits. Sinon, par omission, nous aurons laissé s’installer de nouvelles frustrations grosses d’exaltations macabres, nous aurons arrosé le terreau où poussent ces contentieux passionnels. (…) Oui, au pays de Descartes, convoquons la raison ».
A l’Elysée et à Matignon, on soupire cependant d’aise, surtout à la lecture de l’éloge appuyé qu’elle consacre au président de la République et à son sang-froid dans la gestion de la crise. Fidèle à son style, Christiane Taubira reste dans le ciel des idées. Elle parle de ce qui peut fâcher mais c’est si bien dit que cela ne contrarie pas vraiment. Rien à voir avec la basse polémique, la petite révélation mesquine sur les « secrets de cour ». L’ancienne garde des sceaux ne joue pas dans la catégorie des auteurs de brûlots. Elle veut manifestement que l’on retienne d’elle l’image d’une femme de principe et non d’une médisante nantie d’un plan de carrière. Ses « petites phrases », du genre « Je choisis d’être fidèle à moi-même » , sont autant de brefs lieux communs fort commodes pour meubler les journaux des chaînes d’info au creux des après-midi de février. Du cousu main en matière de communication.. Mais pour faire quoi ? La question est en effet de savoir si cette sortie si bien médiatisée – au point d’être à la fois applaudie par la gauche admirative et la droite ravie de la voir partir – s’inscrit dans l’accomplissement d’un destin. En d’autres termes, s’il ne s’agit pas d’une étape sur la route d’une nouvelle candidature à l’Elysée. Et, pour parler crûment, si elle et ses amis – qu’elle préserve de toute publicité, au point qu’on connaît mal son actuel réseau – vont renouveler avec Hollande l’opération « gauche plurielle » qui fut fatale à Rocard d’abord et à Jospin ensuite ?
Pour le moment, sa liberté de parole retrouvée pourrait surtout gêner les signataires du manifeste en faveur des « primaires à gauche ». Rien ne laisse supposer dans l’attitude présente de la ministre démissionnaire qu’elle cherchera d’une façon ou d’une autre à se porter candidate. Mais qu’en serait-il si le jeu devenait soudain plus ouvert grâce à ces fameuses « primaires » dont l’organisation semble tout de même très incertaine ? La perspective de devoir en découdre sur les plateaux avec une telle polémiste devrait en intimider quelques-uns, pas tous.
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