Un score rĂ©duit de moitiĂ© en cinq ans ; la perte d’un mandat de dĂ©putĂ© dĂ©tenu depuis vingt-six ans… La prĂ©sidentielle de 2012 a Ă©tĂ© fatale Ă François Bayrou, alors que le prĂ©sident du MoDem en attendait qu’elle rĂ©alise les promesses dessinĂ©es en 2007. Dans la foulĂ©e, elle a signĂ© la fin du rĂŞve d’un centrisme autonome, ni de droite ni de gauche mais pouvant s’allier Ă tribord ou Ă babord pour faire valoir sa conception de l’intĂ©rĂŞt du pays. Entre l’UMP et le Parti socialiste, il n’y a pas d’espace pour une force indĂ©pendante capable de conquĂ©rir l’ÉlysĂ©e.
Une alliance avec un “grand parti“ assure-t-elle la pĂ©rennitĂ© politique ? Elle permet en tout cas d’obtenir des dĂ©putĂ©s, au grĂ© de la vague qui porte l’alliĂ©. Lorsque le PS gagne, les radicaux de gauche peuvent constituer un groupe Ă eux seuls (16 Ă©lus en 2012). Lorsque la droite l’emporte, le centre et les radicaux grossissent un peu, pour maigrir lorsque le vent Ă©lectoral tourne.
Les centristes de l’ancienne majoritĂ© n’ont guère pesĂ© lors de la prĂ©sidentielle. Ni Jean-Louis Borloo ni HervĂ© Morin n’ont pu imposer leur candidature. Aucun des deux n’a rĂ©ussi Ă inflĂ©chir une campagne sarkozienne inspirĂ©e de la “ligne Buisson”, fondĂ©e sur une rhĂ©torique rĂ©fĂ©rendaire et populiste. La rĂ©serve Ă©lectorale pour le second tour ne se trouvait pas au centre mais Ă la droite de la droite.
“Il faut reconstruire un centre”, affirmait un ancien ministre gaulliste après des lĂ©gislatives malheureuses. Certes, mais comment ? Au fil des ans, la droite et le centre ont vu leur corpus idĂ©ologique se rapprocher. Les Ă©lectorats ont perdu de leur spĂ©cificitĂ©, sous l’effet de la dĂ©christianisation du pays, du consensus rĂ©publicain et laĂŻc, de la conversion parfois honteuse mais certains des socialistes Ă l’Ă©conomie de marchĂ©, de l’Ă©rosion du rĂŞve europĂ©en. D’autres clivages, plus culturels, sont apparus ; ils ne suffisent pas toujours Ă dĂ©finir un projet centriste.
Pour certains, dont AndrĂ© Rossinot, prĂ©sident honoraire du Parti radical, il y a pourtant urgence Ă fĂ©dĂ©rer les formations les centres. Pour dĂ©fendre les valeurs qui sont les leurs et notamment l’attachement Ă l’Europe. Pour reconquĂ©rir les territoires abandonnĂ©s Ă la gauche. Pour accueillir les déçus du hollandisme. Pour peser sur l’UMP et Ă©viter toute dĂ©rive vers le Front national.
La constitution d’un groupe UDI (Union des dĂ©mocrates et indĂ©pendants ) Ă l’AssemblĂ©e nationale est un premier pas vers une nouvelle formation politique. La prĂ©sence d’un Front national menaçant peut y inciter ; la promesse d’une dose de proportionnelle pour l’Ă©lection des dĂ©putĂ©s peut y pousser. Reste l’essentiel : refonder le centre en se forgeant une identitĂ© en lieu et place du patchwork actuel.
Le rĂŞve brisĂ© de l’autonomie
MalgrĂ© des faire-part de dĂ©cès rĂ©itĂ©rĂ©s, le centrisme reste un courant de pensĂ©e sĂ©culaire, qui persiste au-delĂ de ses avatars. Sous les IIIe et IVe RĂ©publiques, les centristes jouent le rĂ´le de forces charnières indispensables Ă la constitution de majoritĂ©s parlementaires Ă gauche ou Ă droite. Courant multiple, le centre connaĂ®t son âge d’or après la Seconde guerre mondiale avec la crĂ©ation, en 1946, du Mouvement rĂ©publicain populaire (MRP). Celui-ci dirigera le gouvernement six fois jusqu’en 1958 ; il participera Ă presque tous les autres. AttachĂ©s au parlementarisme, Ă l’humanisme social, Ă l’esprit de modĂ©ration, les centristes rĂ©cusent les affrontements idĂ©ologiques et Ĺ“uvrent pour la construction europĂ©enne.
La Ve RĂ©publique et sa logique bipolaire vont Ă©roder ce centrisme souvent ballottĂ© entre la droite et la gauche. Les modes de scrutins prenant du temps avant de faire sentir tous leurs effets, l’heure est d’abord Ă la rĂ©sistance. Ă€ la tĂŞte du SĂ©nat, le radical-socialiste Gaston Monnerville s’oppose au gĂ©nĂ©ral de Gaulle et dĂ©nonce “la forfaiture” que constitue le rĂ©fĂ©rendum sur l’Ă©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique au suffrage universel direct. Ce qui n’empĂŞche pas Jean Lecanuet de se prĂ©senter Ă la prĂ©sidentielle de 1965. PrĂ©sident du Centre dĂ©mocrate, cet ancien MRP obtient 15,6 % des voix et contribue Ă mettre de Gaulle en ballottage. En 1969,
le centriste Alain Poher rassemble 23,3 % des suffrages face Ă Georges Pompidou, mais certains de sa famille choisissent de s’adapter Ă la logique bipolaire, initiant une succession de ralliements Ă la droite en fonction des enjeux prĂ©sidentiels. Dès 1969, c’est Jacques Duhamel qui soutient Georges Pompidou entre les deux tours et crĂ©e le Centre dĂ©mocratie et progrès. En 1974, les chrĂ©tiens-dĂ©mocrates suivent d’emblĂ©e ValĂ©ry Giscard d’Estaing, que Jean-Jacques Servan-Schreiber et les radicaux rejoindront avant le second tour. Les centres ainsi rĂ©unifiĂ©s se rassembleront, quatre ans plus tard, dans l’UDF, confĂ©dĂ©ration “libĂ©rale, sociale et europĂ©enne”, voulue par le nouveau prĂ©sident pour faire pièce aux gaullistes.
Le rĂ©Ă©quilibrage prendra dix ans : en 1988, l’UDF compte 131 dĂ©putĂ©s contre 130 au RPR. Mais c’est le moment que choisissent certains centristes pour rallier la gauche et entrer au gouvernement socialiste de Michel Rocard. Mais si le chef de l’État veut bien attirer des personnalitĂ©s, il refuse tout accord politique entre partis. L’ouverture n’aura guère de suite.
L’UDF subit des Ă©checs rĂ©pĂ©tĂ©s Ă la prĂ©sidentielle (1981, 1988, 1995). Elle connaĂ®t de fortes divisions internes. Elle ne parvient pas Ă s’accorder sur un chef incontestĂ©, puisqu’elle soutient le RPR Édouard Balladur, en 1995, candidat contre le prĂ©sident du RPR Jacques Chirac. Trois ans plus tard, les libĂ©raux s’Ă©mancipent et se retrouvent dans DĂ©mocratie libĂ©rale. En 2002, les deux tiers des dĂ©putĂ©s de l’UDF restant participent Ă la crĂ©ation de l’UMP, rassemblement de la droite et du centre.
Lors de cette prĂ©sidentielle, François Bayrou, qui a obtenu 6,8 % des voix, refuse de se fondre dans ce “parti unique” et garde la prĂ©sidence d’une UDF rabougrie. Mais qui s’affirme “libre et indĂ©pendante”. Le choix d’une ligne très critique conduira l’UDF Ă refuser de voter les budgets du gouvernement Raffarin et mĂŞme Ă voter une motion de censure dĂ©posĂ©e par la gauche en mai 2006. Le Rubicon ainsi franchi, François Bayrou s’engage dans une aventure solitaire, oĂą le succès relatif de 2007 (18,6 % des voix) n’empĂŞchera pas les dĂ©convenues Ă©lectorales de son parti, le MoDem, aux lĂ©gislatives. 2012 signe la chute : le dĂ©putĂ© des PyrĂ©nĂ©es Atlantiques n’arrive qu’en cinquième position, avec 9,13 % des voix ; le 17 juin suivant, il perd son siège de dĂ©putĂ©. Le rĂŞve d’un centre autonome n’a pas Ă©tĂ© compris par ses Ă©lecteurs.
Un Ă©lectorat incertain
Le centre, qu’est-ce que c’est ? Un point Ă Ă©quidistance de la droite et de la gauche, selon la dĂ©finition de Maurice Duverger ? Une famille politique aux opinions très fermes ? Un “marais” peu politisĂ© cherchant un refuge sans risque ? Un tempĂ©rament qui valorise la modĂ©ration ? PassĂ© au crible de la sociologie Ă©lectorale, les centristes manifestent une certaine pĂ©rennitĂ© tout en se rĂ©vĂ©lant très incertains. Quant Ă leurs convictions, elles perdent de leur spĂ©cificitĂ©. lll
lll Au summum du succès, en 2007, la carte de l’Ă©lectorat de François Bayrou ressemble Ă celles de Jean Lecanuet en 1965, de Raymond Barre en 1988 et d’Édouard Balladur en 1995. Ses zones de force sont celles du centre droit et de la France modĂ©rĂ©e sous l’influence du catholicisme : l’Alsace, le Grand Ouest, la bordure sud- est du Massif Central, la pointe du Sud-Ouest pyrĂ©nĂ©en. Cinq ans après, il perd neuf points et recule en Ile-de-France, dans le Sud-Ouest et mĂŞme en Bretagne. Les Ă©lecteurs du centre gauche lui ont prĂ©fĂ©rĂ© François Hollande.
D’un point de vue sociologique, l’Ă©lectorat Bayrou de 2012 n’est plus aussi reprĂ©sentatif de la population française. Il reste toutefois assez jeune et puise dans les catĂ©gories socioprofessionnelles diplĂ´mĂ©es et favorisĂ©es. Il s’est rĂ©vĂ©lĂ© fragile tout au long de la campagne, prĂŞt Ă changer de vote, ce qui explique le ressac final. Des hĂ©sitations qui se retrouvent dans les reports de voix au second tour de la prĂ©sidentielle : 41 % des soutiens du prĂ©sident du Modem ont choisi Nicolas Sarkozy contre 29 % se ralliant Ă François Hollande, 17 % se rĂ©fugiant dans l’abstention et 13 % dans le vote blanc ou nul. Ce zapping Ă©lectoral tĂ©moigne de convictions politiques diluĂ©es au sein de la droite ou d’options culturelles partagĂ©es avec la gauche. Ă€ l’Ă©poque du gaullisme triomphant, le centre se distinguait nettement des options du gĂ©nĂ©ral, puis de ses hĂ©ritiers. Il Ă©tait dĂ©centralisateur face aux jacobins, libĂ©ral contre les colbertistes, europhile opposĂ© aux souverainistes. En matière de mĹ“urs, la diffĂ©rence Ă©tait moins Ă©vidente, mais les radicaux libertaires finissaient par convaincre les chrĂ©tiens dĂ©mocrates des nĂ©cessitĂ©s d’une Ă©volution parfois rĂ©cusĂ©e par leur alliĂ©.
Aujourd’hui, la spĂ©cificitĂ© de l’Ă©lectorat centriste n’apparaĂ®t plus aussi Ă©vidente. Les gaullistes se sont ralliĂ©s au libĂ©ralisme et Ă l’Europe, tandis que les centristes ont redĂ©couvert les vertus de l’État et quasiment abandonnĂ© toute idĂ©e de fĂ©dĂ©ralisme europĂ©en. Les seconds restent plus dĂ©centralisateurs, mais les premiers succombent aux charmes des pouvoirs locaux. Les diffĂ©rences se portent sur les nouveaux clivages qui modifient l’espace politique : les dimensions culturelles, l’universalisme, le rapport aux autres dont les immigrĂ©s, la prĂ©occupation environnementale. Sur cet axe-lĂ , les Ă©lecteurs centristes se rapprochent plus du PS que de l’UMP.
Entre penchants Ă droite et vĹ“ux de gauche, le centre subit parfois le tournis. Ce qui peut expliquer la nostalgie Ă l’Ă©gard de feue l’UDF et le fait que 62 % des Ă©lecteurs de Modem souhaitent l’existence de deux formations politiques, l’une de centre-droit et l’autre de droite (Ă©tude Ipsos de juin 2012) en lieu et place de l’UMP. Encore faut-il savoir comment rassembler les morceaux Ă©pars d’un centrisme en quĂŞte d’identitĂ©.