Il est des textes oubliés que l’on retrouve parfois, au détour d’un rayon de bibliothèque, et dont on peut alors se délecter en se disant, sourire en coin, « mais qu’est-ce que c’est vrai ! ». Librio Philosophie a eu le bon goût de republier l’un de ceux-là : L’art de devenir député, et même ministre, par un oisif qui n’est ni l’un ni l’autre, écrit en 1846, au cœur de la monarchie de Juillet, par François de Groiseilliez – un royaliste légitimiste convaincu.
Petit précis à l’usage des grands communicants
L’essai commence par des considérations en matière de stratégie de campagne : comment s’habiller, comment flatter la femme et le chien de l’électeur… Spin doctor avant l’heure ? L’auteur propose plutôt une réflexion sur ce qui fait l’homme politique, et ce qui devrait faire le candidat à l’office public : la « vocation ». Si le constat sévère sur les artifices politiciens est à prendre avec des pincettes lorsque l’on sait qui le dresse, et dans quel contexte, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qu’il reste, aujourd’hui, des stratégies et des postures à adopter, jetées là comme si l’accession à la Représentation dépendait uniquement de considérations tactiques.
Dès le début, on touche au difficile exercice d’équilibre auquel se prête celui qui prétend à la représentation du peuple : il faut « de l’esprit et du talent », mais aussi « une science de tact et d’à-propos ». Ainsi, le fond n’est pas tout… il en deviendrait presque négligeable. La voix qui énonce ainsi est certes lointaine, mais le lecteur taquin ne pourra pas s’empêcher de faire entre les situations évoquées et la vie politique actuelle d’amusants parallèles.
Ainsi, sur l’importance de la communication, on lira par exemple que « le bruit vaut mieux quelquefois que le talent, et il y a pour cela deux raisons : la première, c’est que le bruit peut tenir lieu de talent ; la seconde, c’est que le talent ne fait pas toujours du bruit. »
Plus trivialement, on notera même sans commentaire l’envolée suivante, en se demandant si elle n’a pas été écrite pour l’année 2017 : « Les champs électoraux se sont immortalisés par plus de défaites que de victoires. (…) Que de réputations brillantes y ont trouvé leur tombeau ! Que de talents, dont à l’avance on assurait le triomphe, y ont vu s’évanouir leur prestige trompeur ! »
La naissance de la satire politique
Ces portraits et conseils avisés pour ceux qui se sentiraient appelés à la députation sont bien entendu datés. Comme souligné dans la postface de Christophe Granger, De Groiseilliez écrit son essai avec toute la distance d’un observateur qui n’approuve ni la démocratie, ni la monarchie parlementaire, ni le monarque de l’époque. Son propos est donc volontairement trivial, et il faut y lire un second degré et une critique acerbe de la vie parlementaire telle qu’il la voit se dérouler.
À ce titre, son chapitre sur la bonne utilisation du verre d’eau sucrée, accessible seulement aux députés qui discourent, est exceptionnel. Il donne sur un ton très sérieux des conseils bien précis sur cette pratique, et l’on retiendra en particulier le coup d’éclat du député qui, face à un autre qui réfute inlassablement ses arguments, lui jette à la figure sa boisson en disant « réfute celui-là si tu peux ! ».
Mais derrière une certaine bonhommie, le fond impitoyable du discours témoigne d’une époque qui a vu naître la satire politique. Alors que se créaient peu à peu les mœurs politiques, au sein de la Chambre ou dans les campagnes, en négatif les critiques forcenés du système ou de ses représentants se faisaient la dent. Il est riche aujourd’hui d’en revenir à ces origines, pour comprendre d’où vient le « rapport affectif à la politique » du peuple français.
La « magie de la politique »
Du même coup, on comprend aussi les racines de ce qu’on pourrait appeler la « politique théâtre ». Si ici ou là retentissent des réquisitoires contre l’information en continu, les réseaux sociaux, ou simplement les médias modernes, force est de constater à la lecture que l’on n’a pas attendu pour « réduire ce qu’est l’activité politique à un théâtre ».
En effet, il apparaît au fil de la lecture que ce sont bien ces messieurs de l’Assemblée, à force de rituels, de « causeries », de postures, bref, de poudre aux yeux, qui ont en premier retiré à la politique de sa substance. Les calculs savants et autres parades électorales seraient-ils un sésame suffisant pour recueillir le suffrage du peuple ? Car ce qu’il reste, en refermant le livre, c’est que l’opinion importe peu ; pour être « député, et même ministre », il suffit d’en avoir la carrure.
À l’heure où le « système » est chahuté de toutes parts, et où les deux partis traditionnels ont été éliminés dès le premier tour des élections présidentielles, on peut se demander, à l’instar de la postface, si les électeurs veulent encore prendre part au « jeu politique ». Plus encore, les avisés conseils de Groiseilliez pourraient peut-être, s’ils sont relus, démasquer ceux qui s’y disent étrangers.
L’art de devenir député, et même ministre, par un oisif qui n’est ni l’un ni l’autre
François de Groiseilliez
Postface de Christophe Granger
Librio
106 pages
3€