Ceux qui avaient voté « non » au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne se sont dérobés et ceux qui avaient dit « oui » veulent maintenant aller jusqu’au bout du Brexit. « Allez comprendre…», a remarqué François Hollande après avoir cité cet exemple récent, quitte à grossir le trait. Le chef de l’Etat voulait, dans son discours du 9 octobre lors du colloque « Refaire la démocratie » à l’Assemblée nationale, montrer en fait la méfiance que lui inspire le recours au référendum. Il a emprunté d’autres exemples à l’actualité : la Colombie, où un accord de paix qualifié d’historique n’a pas été ratifié, la Hongrie où le plébiscite espéré sur la question des migrants n’a pas obtenu la participation attendue…
Défenseur du quinquennat et d’une façon générale de l’ensemble de l’édifice de la Vè République, y compris de sa partie remaniée par Nicolas Sarkozy en 2008, le « gardien de nos institutions » a un peu douché l’ardeur réformiste des experts réunis par Claude Bartolone sous l’autorité de l’historien Michel Winock. Ses propos seront d’ailleurs analysés de deux manières. On peut en effet les considérer comme ceux d’un homme d’expérience qui a été longtemps parlementaire et chef d’un exécutif départemental avant de parvenir au faîte du pouvoir républicain. Mais François Hollande est aussi, jusqu’à preuve du contraire, un candidat potentiel à sa réélection. Rien d’étonnant, donc, à ce que la question du référendum ait été abordée sous un angle plus que critique : les candidats de la primaire de la droite proposent presque tous, avec des variantes, de rendre d’usage courant sinon fréquent cette procédure de consultation populaire. Il n’est pas exclu non plus que lors des primaires du parti socialiste au début de l’année prochaine l’on assiste à un semblable engouement pour le référendum chez certains adversaires du président sortant.
La recherche de solutions aux problèmes posés par « le pilotage des sociétés complexes », comme disait Michel Rocard dans son style inimitable, paraît devenue si ardue que les dirigeants politiques aimeraient bien voir le peuple s’engager à leurs côtés. Démarche naturelle dans une République fondée sur la souveraineté populaire. Il n’empêche que, quel que soit le sujet abordé, son caractère ou ses convictions antérieures, le futur titulaire de la magistrature suprême se heurtera en effet à la nécéssaire prise en compte des paramètres dictés par l’évolution de notre société : mondialisation économique, fracture sociale et culturelle, transition numérique, défi environnemental, dangerosité accrue du monde, médiatisation permanente… Autrement dit, rien ne sera simple et ce serait un paradoxe que de vouloir ramener à un choix binaire – « oui » ou « non » – les dossiers les plus compliqués. Le risque est bien connu : la fameuse « réponse à côté de la question », notamment par les groupes catégoriels voulant exprimer une colère provoquée par un autre sujet que celui qui sera à l’ordre du jour de la consultation. Le général de Gaulle s’est servi du référendum en toute connaissance du fait que cette arme pourrait un jour se retourner contre lui. En 1969, il est donc allé jusqu’à mettre son mandat en jeu. Il a perdu et s’en est allé, sans que les Français comprennent bien, sur le moment, ce qui s’était passé. On l’a bien vu, un peu plus d’un an plus tard, à l’immense émotion populaire accompagnant son décès.
Il est peu imaginable qu’un président fraichement élu et disposant en conséquence d’une légitimité certaine joue d’emblée le tout pour le tout. Mais, à l’inverse, une attitude trop distancée – comme celle de Jacques Chirac en 2005 lors du vote sur la Constitution européenne – pèserait sur la participation comme sur le résultat recherché. Le recours au référendum, cela semble simple. Mais c’est en réalité très difficile…