La spontanéité et le désordre autour du mouvement des gilets jaunes présentent de multiples avantages pour les « récupérateurs » en tout genre. D’aucuns spéculent sur l’événement comme sur une forme de capital àexploiter. On aura vu par exemple beaucoup de ceux qui ont combattu l’ISF en vertu de l’efficacité économique faire soudain cause commune avec ceux qui prônent son rétablissement au nom de la justice fiscale. La liste serait longue des convergences surprenantes, paradoxes et contradictions observés ces temps-ci.
Mais le phénomène le plus ahurissant, celui qui s’inscrira pour longtemps dans l’histoire de ces jours de colère et d’angoisse, demeurera l’affolement du calendrier.
Le 11 novembre, Emmanuel Macron orchestre l’accueil des chefs d’Etat du monde entier, àcommencer par MM. Donald Trump et Vladimir Poutine, sous l’Arc de Triomphe. Moins de deux semaines plus tard, le même lieu se trouve vandalisé, « souillé » pour user du terme utilisé par le président de la République. Le locataire de l’Elysée, autrement dit, a pris une gigantesque baffe. S’il avait pu cultiver une seconde l’illusion de voir son pays et sa personne jouer un rôle accru dans le concert des nations et des dirigeants, le peuple – le sien, même pas celui de puissances rivales – lui aura signifié qu’il ne saurait en être question tant que la devise de la République,« Liberté, égalité, fraternité », s’écartera de la réalité. Il y a dans cette dramaturgie quelque chose qui rappelle le mythe d’Icare : à vouloir trop s’approcher du soleil, on se brûle les ailes.
Tôt ou tard, cependant, les leçons de modestie présentent des effets salutaires. L’idéal communautaire, à ne pas confondre avec l’eurolâtrie, paraît, du coup, à nouveau susceptible d’être réinventé. Le spectacle d’un Etat national se voulant solitaire et omnipotent ne présente plus rien de séduisant. A quoi sert-il de prétendre trancher de tout quand on ne sait pas répondre à une urgence sociale par l’allègement des taxes, faute d’arriver à comprimer ses propres coûts ?
Face aux populistes d’humeur vagabonde comme aux partisans du souverainisme autoritaire – les uns n’excluant pas les autres, d’ailleurs – l’Union européenne constitue une forme de repoussoir idéal. Mais sa force se manifestera en apportant, plus que les gouvernements nationaux, la seule véritable et solide garantie de solidarité entre pauvres et riches comme la crise grecque l’a démontré. En dépit des puissants intérêts extérieurs voulant son éclatement, il sera de plus en plus difficile de s’en passer. Le triste feuilleton du Brexit le prouve. L’europhobie ou le simple euroscepticisme ne désarment pas mais il suffit d’entendre Viktor Orban ou Matteo Salvini pour noter plus que des inflexions dans leurs discours. Ils veulent surtout aujourd’hui un vrai débat sur les pratiques et le fonctionnement des institutions communautaires. Tant mieux. Cela s’appelle la démocratie.
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