Députée européenne et vice-présidente de la Commission des droits des femmes Quelles sont les principales conclusions de votre récent rapport sur l’impact de la crise sur le travail des femmes ?En premier lieu, il y une incidence du « risque de maternité » sur le salaire des femmes à l’embauche : leur rémunération est en moyenne 16,7 % inférieure à celle des hommes, à compétences, postes et diplômes égaux. Ensuite, il existe un lien entre maternité et travail. Au premier accouchement, la jeune mère a tendance à réduire spontanément la responsabilité de son poste ; au deuxième et au troisième, elle diminue son temps de travail, ce qui entraine un retard dans sa carrière, dont elle ne prendra conscience que dans le dernier tiers de leur vie professionnelle. Le fait de devenir mère s’accompagne également d’une dépréciation du statut des femmes sur le marché du travail. Résultat : elles sont plus nombreuses que les hommes à subir des temps partiels ou des contrats précaires. En période de crise, elles ont même tendance à se retirer du marché du travail. Elles se dirigent alors vers des professions non-rémunérées, dans le secteur associatif notamment, et augmentent ainsi leur risque de paupérisation. De fait, nous constatons que la pension des femmes retraitées est de 33 % inférieure à celle des hommes. Comme leur espérance de vie est plus longue que celle des hommes, leur paupérisation est encore plus marquée. Pour y remédier, nous devons actionner immédiatement trois leviers indispensables :
– les carrières doivent être égales pour les femmes et les hommes, dans toutes les entreprises et les administrations ;
– la conciliation vie familiale-professionnelle doit devenir réalité et partagée également entre le père et la mère
– les femmes doivent réaliser un travail sur elles-mêmes afin de partager avec les hommes les responsabilités familiales et libérer leur ambition professionnelle. Elles ne doivent plus se retenir.
Comment expliquez-vous qu’il y ait 44,4 % de femmes au Parlement européen, alors qu’il n’y en a que 26,9 % à l’Assemblée nationale ?
Je pense que les partis politiques français ne sont pas raisonnables. De nombreuses femmes siègent au Parlement européen alors que, contrairement à la France, tous les pays n’ont pas adopté une loi sur la parité. Ce qui signifie que certains pays n’ont pas besoin d’une telle loi pour élire des femmes à Strasbourg. La faute en incombe aux partis politiques qui préfèrent mettre davantage d’hommes que de femmes sur les listes électorales, quitte à payer des amendes. Les partis proposent des femmes dans les circonscriptions les plus difficiles à conquérir parce que les hommes, eux, peuvent se permettre de cumuler les mandats dans le temps. La pérennisation des hommes politiques sur les postes électifs est ainsi assurée. Cette stratégie coûte 4 millions d’euros par an à l’UMP !
Comment expliquer l’avancée de la Suède et de la Finlande, pionnières en Europe sur la parité, avec des parlements qui comptent 47,3 % et 42 % de femmes ?
Dans ces pays, l’égalité des sexes est ancrée dans la société voire dans les esprits. En particulier sur la répartition des tâches et des responsabilités familiales. Par exemple, le partage du congé à la naissance d’un enfant entraine un bonus. Ces dispositions ne sont pas anecdotiques et conduisent à une réelle augmentation de la parité. Depuis longtemps, l’égalité existe réellement dans les gouvernements. En France, j’aurais aimé qu’il y ait plus de femmes comme Christine Lagarde à la tête d’importants ministères ; et qu’on ne cantonne pas les femmes dans des domaines cataloguées de responsabilité féminine. Casser les stéréotypes sert à développer l’égalité des sexes.
Comment la France se situe-t-elle en termes de parité, par rapport à ses voisins européens ?
Le pourcentage de femmes élues à l’Assemblée nationale est en progression : 26,9 % en 2012 contre 8,7 % en 2007. Pourtant il faut mieux faire. Si l’on regarde les classements de pourcentage des femmes dans les assemblées parlementaires au niveau international, la France se situe au 38e rang, derrière l’Afghanistan et l’Éthiopie. Ce n’est pas glorieux. Au départ j’étais contre la loi sur les quotas parce que je pensais qu’avec l’investissement réalisé pour l’égale formation des filles et des garçons, l’équilibre se ferait naturellement. J’étais persuadée le niveau équivalent de compétence suffirait. Mais il y a un mur, un blocus. Alors, j’ai changé de position, il faut des quotas pour pousser les pays au changement.
Avec cette politique de quotas, être une femme en politique ne serait-il pas, dans certains cas, un atout ?
Il ne faut pas s’arrêter aux promesses superficielles. Derrière un gouvernement proclamé paritaire, il faut regarder les vrais postes à responsabilité à la tête des ministères, mais aussi dans les cabinets. Or, les femmes ont moins de portefeuille ministériel que les hommes. Ensuite, pratiquement tous les chefs de cabinet sont des hommes. Tant que nous ne serons pas arrivés à une égalité dans les postes de responsabilité entre les femmes et les hommes, la parité ne pourra pas être vantée.
Concrètement, quelle autre stratégie pourrait être engagée pour inciter les femmes à rentrer dans la sphère politique ?
Je crois au réseau qui aide, accompagne et soutien le renouvellement des personnels politique. Il faut que les femmes s’aident entre-elles. C’est de notre devoir d’élus d’accompagner le renouvellement de la classe politique.
En 2007, quand Ségolène Royal s’est présentée à la présidentielle, beaucoup la raillaient. Aujourd’hui, les femmes semblent mieux acceptées, avec une féminité assumée, décomplexée. Il y a-t-il un changement ?
Je ne suis absolument pas d’accord. La crise économique n’est pas une période favorable aux femmes. Tous ces exemples sont pour moi des épiphénomènes. La situation est très grave ! Mon regard d’historienne, me fait dire que la place de la femme dans la société régresse, au contraire d’autres périodes. Elle n’est pas en progression linéaire. Ceux qui laissent croire cela sont en train de cacher une forêt de misère.