L’Europe des 27 ne se substituera que fin 2018, au mieux, à l’Europe des 28. D’ici là, tout le problème sera de ne pas se retrouver en réalité à 25 ou à 23. Bien que minimisé par la plupart des dirigeants des pays membres de l’UE, il existe un risque de contagion. Certains lobbys europhobes très actifs dans la campagne du Brexit considèrent que la rupture entre le Royaume- Uni et ses partenaires du continent n’est qu’une petite victoire.
C’est l’Europe politique qu’il veulent voir exploser et la zone euro qu’ils souhaitent détruire. Leurs idées sont relayées en France par le Front national qui les transformeront en thèmes de campagne en 2017. Mais l’extrême-droite autrichienne entend bien aussi s’en servir de ce cheval de bataille et, aux Pays-Bas, la demande d’un référendum “à l’anglaise” se fait pressante. La circonstance aggravante, c’est que ces deux pays sont membres de la zone euro. En France, la question va peser sur les primaires de la droite, ce qui n’est pas une mauvaise chose a priori car on a trop peu parlé d’Europe dans nos campagnes électorales internes ces dernières années. Mais encore faudrait-il éviter le “concours Lépine” des trouvailles institutionnelles en matière de nouveaux traités. Ce qui ne fait qu’ajouter de l’incertitude à l’incertitude.
La situation au Royaume-uni
Parmi toutes les difficultés qui l’assaillent, le Royaume-Uni réglera sans doute facilement la crise politique ouverte par le retrait de David Cameron. Mais ce n’est pas parce qu’il se trouvera toujours, dans cette veille démocratie, des politiques aguerris pour répondre à l’appel du devoir que la tâche de ceux-ci sera simple. Il leur faudra d’abord régler la question de la “notification” de la demande de divorce, le référendum à lui seul n’ayant pas de valeur juridique. Puis il sera nécéssaire d’établir un consensus parlementaire minimal autour d’une stratégie de relations nouvelles avec l’UE. Car les embûches autour de la négociation de sortie — ainsi que sur la nature d’un nouveau statut de “pays tiers” — seront nombreuses et largement imprévisibles. Ajoutons à cela les conséquences financières et fiscales d’une perte d’influence de la City et la gestion sûrement mouvementée des velléités indépendantistes de l’Ecosse comme du réveil des partisans de l’unité irlandaise. Le droit européen viendra au secours, paradoxalement, des Anglais sur ce dossier, du moins pour un temps. Les statuts de l’Union européenne interdisent les adhésions directes de régions. Pour obtenir le droit de rejoindre l’UE, les Ecossais devront d’abord conquérir leur indépendance de manière à se porter candidats sous le drapeau d’un Etat souverain.
Le grand tabou : les contributions
Depuis le succès du Brexit, la question de la pérennité du budget européen est soigneusement mise sous le tapis. Pourtant, il faudra bien, pour que l’UE continue à vivre sur le même train, que le défaut de la contribution britannique soit en majeure partie compensé par les deux autres gros “payeurs” : l’Allemagne et la France. Selon certaines estimations circulant en France avant le référendum et jugées comme exagérément alarmistes par les partisans du divorce, la note pourrait être lourde pour notre pays : de l’ordre de 1,2 milliard d’euros à sortir en plus des 21 milliards déboursés en année normale (chiffre de 2015). Il s’agit là, évidemment, d’évaluations “à la louche” et ne portent que sur une partie des “cotisations” payées, celles qui sont calculées à partir du “revenu national brut” de chaque pays. Car la question est infiniment complexe. Certains engagements de dépenses étant pluriannuels, dans quelle mesure le Royaume-Uni sera-t-il conduit lors des négociations de sortie à “solder ses comptes” ? Comment arrivera-t-il, ne serait-ce que pour les fonds régionaux de développement, à financer avec les économies réalisées sur sa propre contribution les programmes en cours sur son territoire ? Il convient aussi de considérer les budgets d’une quantité d’agences et d’organisations dont certaines, comme l’Agence du médicament, ont leur siège en Grande-Bretagne. On comprend pourquoi les britanniques veulent du temps pour négocier. Deux ans, la période prévue par les textes régissant l’Union, cela paraît bien court pour faire la part de ce qui est versé et de ce qui est perçu. Surtout si, dans le même temps, une formule “d’adhésion à la carte”, inspirée par les statuts de la Norvège ou de la Suisse, est mise à l’étude… Une chose est sûre : même s’ils s’acquittent de leur dû, les dirigeants du Royaume-Uni ne seront pas dans une phase dépensière, c’est à dire optimiste et confiante. Ils discuteront sou par sou. Et longtemps.
La fin de “l’excédent français” ?
350 000 français, de l’étudiant à l’avocat international en passant par l’expert en oeuvres d’art et l’employé dans la restauration vivent de l’autre côté de la Manche mais seulement un quart d’entre d’eux en dehors de la capitale et de ses alentours. Les entreprises françaises emploient une trentaine de milliers de personnes au Royaume-Uni, plus de la moitié étant des compatriotes expatriés, sans permis de travail puisqu’ils profitent du statut de ressortissants de l’Union européenne. Le sort de ces salariés est incertain, de même que celui des Français ayant créé leurs entreprises en Grande-Bretagne. Ils y ont été incités par nombre d’incitations fiscales et administratives, ainsi que par les discours d’un certain Boris Johnson promettant un “tapis rouge” à Londres pour les entrepreneurs français. Des communes situées juste après la frontière telle Ashford, sur la ligne Eurostar, ont attiré aussi les start-ups tricolores. La baisse de la livre va arranger les affaires de celles qui exportent leurs produits ou services en France et dans le reste de l’Europe – à
condition que le “grand marché” subsiste sous une forme ou une autre – mais elle va, en revanche, se révéler catastrophique pour les importateurs de produits français, à commencer par les automobiles, les vins et spiritueux, les parfums, les cosmétiques et les articles de luxe. Payées en livres dévaluées, la bouteille de Champagne ou le flacon de parfum risquent de coûter très cher. Le Royaume-Uni nous achète chaque année pour 31,5 milliards d’euros de produits, chiffre qui va mécaniquement baisser du fait des taux de change, même en cas de maintien de la demande interne.
C’est un coup dur pour le commerce extérieur français, notre balance avec la Grande-Bretagne étant excédentaire de 12,2 milliards d’euros.
L’avenir de la City
Aux fonds souverains et autres détenteurs de capitaux baladeurs, la City offrait “la ceinture et les bretelles”. Liberté de circulation, fiscalité légère, protections conjointes du droit britannique et du droit européen… Parce qu’elle concentre un savoir-faire considérable, la City de Londres assure 30 à 40 % du trading en euros, ce qui peut paraître paradoxal car elle se situe sur un territoire non couvert par la monnaie unique. L‘identité européenne des établissements financiers britanniques (ou des filiales londoniennes des groupes étrangers, telle la BNP Paribas, le Crédit agricole et la Société générale) assure une sécurité juridique sans équivalent à tous ceux qui travaillent avec eux. Les hommes de la City ont en outre bataillé ferme devant la Cour de Justice de l’UE (au Luxembourg) pour garder le droit d’effectuer des compensations sur les chèques ou traites en euros alors que la BCE de Francfort aurait préféré que cela se passe dans son propre environnement. Mais ils risquent de perdre toute crédibilité à ce sujet en cas de confirmation du divorce annoncé par le Brexit. 250 banques étrangères présentes à Londres étant menacées de perdre leur “passeport financier européen”, risquent- elles de s’en aller ? Et où ? Paris est prêt à jouer sa carte mais avec peu d’atouts par rapport à Francfort, notamment une dissuasive fiscalité sur le patrimoine. Là encore, les financiers britanniques joueront la montre et feront valoir le maintien de beaucoup “d’avantages compétitifs” : l’expérience, l’habitude de jongler avec les fuseaux horaires, un énorme stock de fonds de pension nationaux et une vieille complicité avec leurs homologues de Wall Street. Entamées le 23 février, deux jours après l’annonce du référendum par David Cameron, les négociations en vue de la fusion entre les Bourses de Londres et Francfort, deux grosses société par actions, vont se compliquer, bien que les actionnaires des deux entreprises soient en grande partie les mêmes. En cause, la question du siège. Les autorités régulatrices allemandes, très sourcilleuses, refuseront tout pilotage depuis un pays non membre de la zone euro et, a fortiori, susceptible de ne plus faire partie de l’UE à terme rapproché. Voilà un énorme projet sur le point de se casser la figure.
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