Le cap des 7 milliards de terriens a été franchi le 31 octobre 2011. Fait sans précédent, il n’a fallu que douze ans pour augmenter d’un milliard le nombre d’habitants de la planète. Selon Michel Serres (L’Express du 23 janvier), nous serions aujourd’hui « à peu près 7 milliards 800 millions ». Ce qui amène le philosophe au calcul suivant : « J’ai 80 ans et, durant ma propre vie, j’ai vu la population du globe doubler deux fois. Quand je suis venu au monde, en 1930, nous n’étions pas tout à fait 2 milliards sur la Terre. Puis on a assisté à une multiplication incroyable : 2 X 2 = 4, 4 X 2 = 8 ». Pour lui, l’accroissement de la population fait partie des réalités du nouveau monde, avec « la politique complètement prise en main par l’économie » et les enfants « qui envoient des textos à une vitesse formidable avec le pouce ». Faut-il en avoir peur ? Michel Serres ne le pense pas, même s’il considère que « l’éclosion de l’individu oblige à inventer de nouvelles communautés » et cela conduit à se demander si l’idée de nation a encore un avenir.
Car le nombre d’individus n’empêche nullement l’individualisme de progresser partout, mais à des degrés divers selon les héritages culturels. Les pays les plus peuplés du monde peuvent justifier, en raison du nombre de leurs habitants, des pratiques dirigistes impensables en Amérique du Nord ou en Europe occidentale, tout simplement parce que l’individualisme n’y progresse que lentement. Mais tout aussi sûrement qu’en Occident depuis 2000 ans… C’est par exemple, la politique dite « de l’enfant unique » en Chine, instaurée par Deng Xiapoing en 1979 qui a évité 400 millions de naissance mais qui va très vite révéler ses limites psychologiques, sociologiques et économiques sur les personnes et les familles. Le correspondant du Monde à Shangaï, Harold Thibault, parle d’un pays « traumatisé par l’enfant unique », avec une population citadine encline au pessimisme. Les sociologues de toute la planète vont bientôt prendre le relais des démographes dans l’observation des évolutions du pays le plus peuplé du globe… Plus soft mais presque aussi rigide, le système de recensement indien qui affecte tous les habitants d’un numéro national d’identité assorti de données biométriques élaborées (les dix doigts et l’iris), qu’il faut produire à l’appui de toute requête de la police ou de l’administration.
Les grands fléaux de l’humanité
Les trois grands fléaux de l’humanité, souvent représentés sous forme allégorique dans l’art du Moyen-Âge, sont la famine, la maladie et la guerre. À l’inverse d’une idée reçue, on meurt aujourd’hui moins de faim dans le monde qu’il y a trente ans, bien qu’il existe encore – souvent du fait de conflits locaux ou d’accidents climatiques – des zones où la famine cause des ravages. Si elle est loin d’avoir éradiqué la pauvreté et la malnutrition, l’Inde (1,21 milliard d’habitants) a connu une spectaculaire croissance démographique associée à un développement économique permettant d’éloigner le péril de la pénurie alimentaire. Pour ce qui concerne les épidémies contemporaines, les sombres prévisions apparues il y a vingt ans – au plus fort de la propagation du SIDA – ne se sont pas vérifiées puisque le continent le plus touché, l’Afrique, n’a pas ralenti sa progression démographique. En dépit d’une espérance de vie inférieure à soixante ans et d’une très forte mortalité infantile, les Africains – grâce à un taux de fécondité élevé – sont aujourd’hui plus d’un milliard, constituant plus que le septième de la population mondiale. À noter qu’un pays, le Nigéria, compte à lui seul 170 millions d’habitants et que l’Ouganda se signale par la jeunesse de sa population : les moins de 18 ans y représentent 56 % de la population !
D’une façon générale, les guerres, épidémies, famines, pollutions, tsunamis et autres tremblements de terre n’affectent qu’à la marge les évolutions démographiques. C’est dans les familles que tout se décide, selon que l’on se marie tard ou divorce tôt, que l’on ait beaucoup d’enfants ou non. On le voit tout particulièrement en Allemagne, où le vieillissement de la population est lié à un faible taux de fécondité. Il est devenu courant d’entendre dire que les Allemands sont plus pro-européen que les Français parce qu’ils ont, consciemment ou non, le sentiment que les inconvénients du déclin démographique de leur pays ne seront compensés que par des partenariats étroits avec les pays « plus jeunes » de l’Union européenne. Alors même que celle-ci ne doit en réalité sa stabilité démographique d’ensemble qu’à l’apport de l’immigration…
Déjà, lorsque l’Allemagne était coupée en deux, la RFA se signalait par un taux de fécondité inférieur à celui de la RDA. La réunification à marche forcée réalisée par Helmut Khöl, contre l’avis de nombre d’économistes, obéissait aussi à des impératifs démographiques…
Dix milliards en 2050 ?
Parce qu’elles sont indispensables à la détermination des politiques (ne serait-ce qu’en matière scolaire ou sanitaire), les statistiques sur la population mondiale sont « relativisées » par les données nationales. Car les pays – même à niveau de vie comparable – ne sont pas « égaux » devant la réalité démographique. Bien que moins peuplée que l’Allemagne réunifiée, la France se félicite d’un accroissement de population plus dynamique. Grâce à un peu plus de 800 000 naissances par an, la France a gagné 20 millions d’habitants depuis 1962. Au 1er janvier 2012, les Français étaient 65,35 millions dont 63,5 millions en métropole et 1,9 million dans les départements d’Outre-mer. Ces chiffres résultent de nouvelles méthodes de recensement : campagnes spécifiques dans les municipalités, enquêtes et sondages, avec une marge d’erreur soigneusement mesurée par l’INSEE. Il est à noter que la connaissance des variations de population est en France plus affinée qu’ailleurs, notamment grâce à la complémentarité entre les statisticiens de l’INSEE et les démographes de l’INED, deux structures publiques différentes, la première étant une direction du ministère de l’Économie et l’autre un institut de recherche travaillant par ailleurs sur le monde entier.
Les démographes sont des collaborateurs discrets des différents prévisionnistes œuvrant aussi bien pour les ministères des Finances, de la Défense et des Affaires étrangères que pour les grandes métropoles qui ont besoin de « projections » pour orienter leurs investissements. Leurs analyses sont précieuses pour l’orientation des choix politiques, au moins autant que celles des « sondeurs d’opinion ». Leur art emprunte autant à l’anthropologie qu’à la connaissance de modèles mathématiques. On se souvient d’Olivier Todd, chercheur à l’INED, annonçant le rejet du communisme par les populations d’Europe de l’Est par les chiffres catastrophiques de la mortalité infantile en URSS…
Que peuvent-ils nous dire du futur ? Ceux qui se risquent à l’exercice affirment que, sauf cataclysme, les terriens vont continuer à vieillir et que le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans sera, à l’échéance d’une trentaine d’années, supérieur à celui des jeunes, ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire. Mais que, comme les pays améliorant leur niveau de vie perdent vite l’idéal de la famille nombreuse, la baisse de la natalité ira de pair avec leur développement. Si celui-ci continue, nous assisterons à un ralentissement de la croissance de la population mondiale. En 2050, selon l’INED, nous approcherons le chiffre de dix milliards d’êtres humains et cela ne sera pas forcément une catastrophe alimentaire et écologique. Tant il est vrai que quand il y en a pour huit (milliards !), il y en aura pour dix !