« L’heure est grave » commence Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Ce mercredi 7 juin, l’ONG tient une conférence de presse commune avec EuroMed Droits, l’Association Européenne pour la Défense des droits de l’Homme (AEDH), la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Association turque des droits de l’Homme afin de dénoncer la volonté de l’Union européenne de placer sa Turquie sur la liste des pays sûrs, et plus globalement, cette notion. Dans la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, un pays est considéré comme sûr “lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution […] ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne. »
C’est une grande première. Le Parlement européen doit décider d’ici la fin du mois de juin d’établir cette liste applicable à tous les pays européens. Plusieurs pays possèdent déjà la leur, la France notamment. Mais aucune liste commune n’existe. De plus, le Parlement doit adopter cette liste par règlement, ce qui implique que le texte est applicable sans modification par les parlements nationaux. Sept pays sont concernés pour entrer dans cette liste : l’Albanie, la Bosnie Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Turquie.
La place de la Turquie fait débat
Depuis plusieurs mois, les associations de défense des droits de l’Homme montent au créneau pour dénoncer les relations entre l’Union européenne et la Turquie de Recep Erdogan. Les ONG pointent du doigt les entraves faites à l’encontre de la liberté de la presse et de la liberté de manifester. Entraves dirigés notamment vers les Kurdes, minorité vivant principalement à l’Est du pays et réclamant son indépendance. Depuis quelques mois, après plusieurs années de paix larvée, le conflit entre le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et l’Etat turc a repris. En direct sur Skype depuis la Turquie, Osman Isci, militant au sein de l’Association turque des droits de l’Homme, rappelle que « un million de personnes sont affectées par le conflit à l’Est du pays. » Les ONG dénoncent également le traitement réservé aux journalistes d’investigation et d’opposition : «aujourd’hui, 40 journalistes sont en prison en Turquie. C’est inacceptable » martèle-t-on. Osman Isci conclut : « Ce n’est pas un pays sûr pour nous, ce n’est pas un pays sûr pour les réfugiés. »
« Il n’y a pas de pays sûr »
A plus large échelle, c’est la notion de « pays sûr » qui dérange en pleine « crise » des réfugiés. En clair, lorsqu’un un migrant arrivant d’un pays considéré comme sûr dépose une demande d’asile, en France par exemple, sa candidature peut-être refusée de manière plus rapide et plus simple.
Pour Karim Lahidji, président de la FIDH, la notion de pays sûr « introduit une discrimination entre les réfugiés ». Il poursuit : « suivre la Convention de Genève de 1951 peut suffire en termes de droit d’asile, introduire une nouvelle notion n’a aucun sens. ». Catherine Teule, vice-présidente de l’AEDH, ajoute : « L’objectif affiché semble être de gagner du temps, de décourager les demandeurs d’asile et de dégonfler les chiffres ». Toujours d’après Mme Teule, un tiers des demandes d’asile sont encore en attente de jugement dans l’Union européenne.
Surtout, pour les ONG, « aucun pays, même le plus démocratique, ne peut assurer la sureté à l’ensemble de ses citoyens. »
Un appel pour faire pression auprès des parlements nationaux et européens va être lancé afin de dire non à cette liste de pays sûrs.
Lucas Chedeville
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