Le Sénat est-il en train de renouer avec son image conservatrice, à la différence près qu’il pourrait s’agir cette fois-ci d’un conservatisme de gauche ?
Souvenons-nous. C’était l’an dernier et, semble-t-il, il y a un siècle. Le 25 septembre 2011, la gauche devenait majoritaire à la chambre haute. En partie prévisible du fait de la grogne d’élus modérés mécontents des projets de réforme territoriale initiés par Nicolas Sarkozy, cette bascule historique n’en apportait pas moins un symbole d’espérance aux socialistes et à leurs alliés. Le “presque candidat” François Hollande, officiellement investi quinze jours plus tard à l’occasion des primaires de son parti, ne s‘y trompait d’ailleurs pas. Dès le résultat connu, il venait dans la soirée féliciter les vainqueurs sur l’air de “ce n’est qu’un début, continuons le combat !”.
À peine Jean-Pierre Bel montait-il au “plateau” (équivalent du “perchoir” de l’Assemblée nationale) qu’il se murmurait d’ailleurs que son cabinet serait constitué de personnalités susceptibles de former une équipe prête à traverser la Seine pour s’installer à l’Élysée le moment venu. Et cette rumeur devenait vérité dès le mois de mai suivant…
La courte (trois voix seulement) majorité de gauche du Sénat aura donc joué son rôle dans l’accession de François Hollande à la magistrature suprême. Mais aujourd’hui, alors que le nouveau pouvoir se trouve confronté aux critiques et aux mauvais sondages, son soutien paraît moins évident. La proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie a été bloquée par un vote conjoint des élus communistes et UMP. En commission, le projet de loi de programmation des finances publiques a été rejeté. Cela n’entraînera pas de conséquences sérieuses pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault car “l’Assemblée aura le dernier mot”. Mais c’est précisément l’expression que l’on employait à tout bout de champ quand les majorités du palais Bourbon et du palais du Luxembourg ne coïncidaient pas politiquement !
En réalité, les socialistes vivent au Sénat les affres de “la majorité plurielle”. Ils ont constamment besoin des voix des élus PRG, Verts et Front de gauche. Une situation qui permet à ces derniers, c’est de bonne guerre, de montrer qu’ils existent. Les “mélenchonistes” campent parmi les plus rebelles, comme on l’a vu lors du débat autour de la ratification du nouveau traité européen, votée, comme à l’Assemblée, avec les voix de droite. Les forces du “Font de gauche” profitent aussi de la grande expérience en matière de procédure d’élus communistes depuis longtemps dans la place tel Alain Bocquet, parlementaire depuis près de trente ans. Nul doute que ceux-ci deviendraient virulents si d’aventure François Hollande et Jean-Marc Ayrault se lançaient, comme on leur en prête parfois l’intention, dans des réformes inspirées par le “modèle Gerhard Schroeder” ou sa version actualisée, “le plan Mario Monti”.
Les sénateurs de l’opposition de droite contemplent sans déplaisir, pour leur part, les désaccords de la majorité. Ils savent que, pour peu que le vent souffle de leur côté aux municipales du printemps 2014, le renouvellement sénatorial de l’automne suivant pourrait favoriser une nouvelle bascule. Resterait alors à trouver un président. Mais c’est une autre histoire qu’il est trop tôt pour écrire.