Preuve qu’il n’est pas le « maitre des horloges » en tous domaines, Emmanuel Macron aura vu surgir dans l’actualité, six mois après son élection, un sujet non prévu sur l’agenda de la communication présidentielle : la fraude fiscale à grande échelle révélée par le scandale « paradise papers ». A première vue, même si la partie « offshore » du patrimoine de certains milliardaires français se trouve (un peu) mieux connue, l’affaire – qui éclabousse jusqu’à la reine d’Angleterre – concerne un tel nombre de pays et de protagonistes qu’elle ne saurait gêner spécialement l’Exécutif français. En réalité, elle est grosse de soucis à venir. Elle peut d’abord avoir pour effet de crisper un peu plus les « évadés fiscaux ». Ce qui va ruiner les tentatives de séduction entreprises pour ramener au bercail les contribuables aisés ayant pris la poudre d’escampette depuis des lustres. Elle va jouer ensuite un rôle de mauvais signal en matière « d’acceptation de l’impôt » : les citoyens membres des classes moyennes, conscients d’être victimes d’une injustice, devraient de plus en plus s’apercevoir du lien existant entre les efforts qui leur sont réclamés et les exonérations que s’octroient ceux qui gagnent plus qu’eux. Il y aurait de quoi créer une vague de fond populiste au bénéfice de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon. Mais le conditionnel semble de rigueur. Le plus probable reste en effet que le train des révélations passe sans laisser d’autre trace qu’une résignation ronchonne chez nos compatriotes de plus en plus fatalistes à propos d’impôts. Tout cela est si compliqué. L’offshore, dit-on, n’est pas forcément illégal. Et puis si certains bénéficient de « l’optimisation », tant mieux pour eux, n’est-ce pas ?
L’incivisme fiscal des gloires du spectacle, du football, du tennis ou du sport automobile n’a jamais provoqué la moindre entorse à leur popularité, alors même que l’argent public a contribué à leurs gains en ruisselant dans la construction et le fonctionnement des stades, des circuits ainsi que des salles de concert.
S’il y a péril en la matière pour le chef d l’Etat, c’est parce qu’il peut être pris très vite en défaut de volontarisme sur cette question. La fraude fiscale ne constitue pas – comme le code du travail par exemple – un thème relevant du débat franco-français. Il faut, pour s’en occuper, agir sur le plan européen et international. C’est plus facile à dire qu’à faire. Exiger que le Luxembourg ou l’Irlande cessent leur « dumping » revient à les couper d’une partie de leurs ressources. Autrement dit, ce n’est pas pour demain.
L’hypocrisie règne, de plus, à tous étages dès qu’il s’agit de finance offshore. Chacun sait bien par exemple que les paradis fiscaux sont utiles dans une zone monétaire pour fixer des capitaux qui iraient ailleurs. Les îles anglo-normandes ont toujours participé du soutien de la livre et certaines places fonctionnant en euro sont bien utiles, par exemple, pour garder des fonds souverains dans la monnaie commune en évitant qu’ils prennent d’un seul clic le chemin de Singapour ou de Shanghaï.
Tout cela ne signifie pas que la lutte contre la fraude fiscale reste une vue de l’esprit. Même si le combat sera plus lent et moins spectaculaire qu’on ne l’imagine aujourd’hui, il n’en sera pas moins vital. Ne serait-ce que parce que les possibilités contributives des classes moyennes – et notamment celles des retraités – sont en voie de diminution.