Alors même que l’on approche du rendez-vous électoral des européennes, les signes d’agressivité entre partenaires de l’Union se multiplient. Il y a eu l’imbroglio transalpin de ces dernières semaines qui aura, ne l’oublions pas, provoqué le rappel de notre ambassadeur à Rome, fait rarissime sinon gravissime. Le vice-président du conseil italien Luigi Di Maio n’avait en effet rien trouvé de mieux à faire qu’aller à la rencontre des gilets jaunes pour les encourager à casser du sucre sur Emmanuel Macron, ainsi que quelques vitrines !
Dans un registre plus froid, il reste tout aussi surprenant que le gouvernement néerlandais du libéral Mark Rutte n’ait pris aucune précaution de courtoisie vis à vis des dirigeants de notre pays avant de rafler sur les marchés le paquet d’actions qui lui donnera 14 % de la Compagnie Air France-KLM…
On aurait tort cependant de considérer que le recours aux méthodes dignes des « Tontons flingueurs » constitue une mode strictement européenne. Lorsque ce qu’il est convenu d’appeler« l’affaire Ghosn » aura livré l’essentiel de ses secrets, on reviendra peut-être sur la manière dont le patron de Renault-Nissan a été cueilli et embastillépar les limiers de la police financière nipponne. Quels que soient les torts susceptibles d’être imputés à l’homme d’affaires international disposant de trois passeports – libanais, français et brésilien – celui-ci incarnait jusqu’à son incarcération l’image de l’un des fleurons de l’industrie tricolore, une entreprise qui s’est même longtemps confondue avec l’Etat français. Aucun de ses prédécesseurs n’aurait, jusqu’à une période récente, été traité de cette façon en terre étrangère, dans un pays réputé pour le raffinement de sa civilisation et connu pour être ami et allié de la France. Que l’on ne vienne pas dire, par ailleurs, qu’il s’agit de procédures judiciaires menées en toute indépendance du pouvoir exécutif. Dans des cas de ce genre, la toute-puissance des juges dans les états de droit peut s’exercer au final par de lourdes condamnations sans que soient négligés les usages diplomatiques entre nations civilisées, ne serait-ce que pour éviter d’éventuels retours de bâton vis à vis des propres ressortissants du pays poursuivant. On a eu pourtant l’impression jusqu’ici, peut-être trompeuse, que les autorités japonaises se moquaient complètement des réactions françaises, qu’il s’agisse de l’Etat ou de l’opinion publique.
Il faut donc s’y faire. Le respect se perd. Aussi bien sur les réseaux sociaux, où la guillotine symbolique fonctionne à temps plein, qu’entre chancelleries. C’est décidément la fête des brutes. S’il en est ainsi, c’est que la compétition fait rage en tous domaines et que la méfiance est partout, souvent alimentée par la paresse intellectuelle. Dans cette jungle, il est pourtant urgent d’inventer des armes de dissuasion économique à l’échelle européenne. Devenue extraterritoriale en 1998, la loi anticorruption américaine s’applique aux sociétés étrangères partout dans le monde. Il suffit que les contrats soient conclus en dollars ou contenus dans des mails transitant par des serveurs américains. C’est un formidable instrument de domination économique. Les services de renseignement des États-Unis écoutent le monde entier, tandis que la Chine et la Russie rêvent d’y parvenir. « A quoi sert l’Europe ? », s’interrogera-t-on en mai prochain. Réponse simple : à se défendre contre ceux qui voudraient s’essuyer les pieds sur nos restes de puissance.