Dans son rapport sur l’adaptation des politiques culturelles au numérique remis le lundi 13 mai à François Hollande et à Aurélie Filippetti, Pierre Lescure soumet 75 propositions pour réformer et soutenir les secteurs artistiques concernés par les innovations numériques.
Quand la puissance publique se fait gardienne de l’offre culturelle
Trouver des solutions pour financer la culture, des pistes pour que l’industrie culturelle puisse s’adapter à internet… telles était la mission de l’ancien président de Canal +, chargé par l’Élysée d’imaginer l’exception culturelle française à l’ère numérique.
Lorsqu’elle a confié cette concertation sur la culture face aux enjeux du numérique à Pierre Lescure en septembre 2012, Aurélie Filippetti, avait l’objectif ambitieux de « refonder les instruments » de la politique culturelle. « Après des années d’hésitations, de difficultés et de pilotages changeants de la politique culturelle à l’ère du numérique, il est temps d’avoir ce moment d’échange ouvert avec l’ensemble des acteurs des secteurs culturels mais aussi avec l’ensemble des représentants des internautes« , déclarait alors la ministre de la culture et de la communication. Les trois objectifs de la mission commandée étaient alors les suivants :
– organiser une lutte efficace contre les pratiques illégales et ce dans le souci de défendre les créateurs de contenus ;
– réguler les flux financiers associés à la création et définir les mécanismes permettant de garantir un meilleur équilibre et ainsi mettre fin à la concentration progressive de la valeur créée par les échanges, du côté des opérateurs les plus puissants ;
– prendre en compte les attentes des publics et la volonté d’offrir un accès du numérique au plus grand nombre et pour cela remanier le financement de la numérisation, l’adaptation de l’offre à la demande, les mécanismes de financement de la création et les modalités de gestion des droits.
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Des solutions en deçà des attentes ?
Parmi les propositions phares du rapport, on retrouve la suppression d’Hadopi, la taxation des smartphones pour financer la création de contenus, l’assouplissement de la chronologie des médias… Un dispositif taxé d’immobilisme qui n’a donc pas su faire l’unanimité et des mesures qu’il convient d’examiner au cas par cas :
- Hadopi disparait, sa philosophie demeure
Fidèle à la promesse de campagne de François Hollande, Pierre Lescure propose de supprimer Hadopi et de transférer la mission de régulation de l’offre numérique et les compétences de cette autorité au CSA. Il préconise aussi le maintien de la réponse graduée contre le piratage mais veut diminuer le montant des amendes (vers une somme forfaitaire de 60 euros après trois avertissements par courrier) et abroger la mesure-phare d’Hadopi, à savoir la peine de suspension de l’abonnement internet. Il s’agit, explique-t-il, de « dépénaliser » le téléchargement illégal.
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- L’accélération de la chronologie des médiasÂ
Afin de réduire le téléchargement illégal des films, la mission Lescure préconise un accès à la vidéo à la demande plus rapide après la sortie des films. Ainsi, les films de cinéma pourraient être disponibles en VOD ou DVD entre quinze jours et trois mois après leur sortie en salle, contre quatre mois aujourd’hui. Et pour la VOD à l’abonnement, on parle de 22 ou 10 mois, après la sortie nationale, contre 36 mois actuellement.
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- Rémunération des créateurs et financement de la création
Les changements engendrés par le basculement du marché de la culture dans le monde numérique sont nombreux et incontestables. Consciente que les industries culturelles historiques, créatrices de contenus souffrent de la captation de valeur réalisée par les acteurs numériques (Apple, Amazon, Google…), la commission Lescure en appelle à l’Etat pour « encadrer les pratiques contractuelles » sans pour autant « fixer de manière rigide la clé de partage des recettes ». « Pour protéger les créateurs, le rapport veut renforcer le rôle des sociétés d’auteurs, les SPRD (sociétés de perception et de répartition des droits). Ces sociétés pourraient consacrer une partie des sommes perçues, au titre de la RCP (Rémunération sur la Copie Privée), à soutenir des plateformes innovantes ou des actions de promotion en ligne » déclarait la ministre à France Culture.
- Une taxe sur les smartphones et tablettes
La mission Lescure écarte la taxe Google demandée par les éditeurs de presse et les producteurs de musique, proposant plutôt de « mettre à contribution les fabricants et importateurs d’appareils connectés » pour financer la création de contenus culturels. Les fabricants et distributeurs d’ordinateurs, smartphones, tablettes, téléviseurs connectés et consoles seraient taxés pour compenser le transfert de valeur des contenus – auxquels le consommateur a pris l’habitude d’accéder gratuitement – vers les matériels, souvent acheté à des prix élevés.
En fonction de l’évolution des usages, le rapport prévoit également de fusionner ou de remplacer la taxe sur la copie privée, une rémunération perçue par les ayants-droit sur le matériel servant à copier légalement des contenus. Elle est contestée par les fabricants et les distributeurs.
C’est justement cette dernière mesure qui suscite de vives réactions du côté de l’opposition. Dans un communiqué, Camille Bedin, secrétaire générale adjointe de l’UMP, déplore la perspective de cette nouvelle taxe : « une fois de plus, l’exception française se confirme en préconisant de taxer les smartphones et les tablettes ! Alors que le pouvoir d’achat a baissé de 0,4 % en 2012, une première depuis 1984, le gouvernement ne manquera pas de taxer une nouvelle fois les Français. La gauche est droguée à l’impôt, et malgré la crise, elle n’est pas décidée à se sevrer ! » Pour elle, la responsable du parti, la taxation des nouvelles technologies pour financer la culture n’est « qu’une fuite en avant » et d’autres solutions existent comme « rationaliser les dépenses de l’audiovisuel public […] à chaque jour suffit sa taxe ! », conclut-elle.
Malgré ces griefs, le président souhaite une « mise en Å“uvre des décisions nécessaires, y compris législatives, dans les meilleurs délais et a demandé qu’une première série de mesures intervienne d’ici l’été », a indiqué l’Élysée dans un communiqué.