Jean-Michel Verneiges, directeur de l’ADAMA (Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne) depuis sa création en 1983, œuvre pour démocratiser la pratique de la musique sur son territoire.
Quelle est la mission de l’ADAMA ?
C’est à la fois d’être un outil technique auprès du Conseil départemental pour élaborer un projet de développement musical sur le territoire, et un carrefour entre le département, les collectivités territoriales et les acteurs culturels et musicaux. Tout en étant également un opérateur.
Nous menons une action globale qui va de l’éveil et de la sensibilisation de publics a priori éloignés de la culture, jusqu’à des réalisations de haute ambition artistique.
Comment procédez-vous ?
Aujourd’hui, ce qui nous caractérise le plus c’est la recherche de l’articulation maximum des projets entre eux. Créer des liens qui s’étendent à tous les domaines : de la diffusion à la production en passant par la pédagogie, les pratiques amateurs, et bien sûr la recherche de la diversification et de l’élargissement des publics. Le tout s’appuie sur le socle du schéma départemental de développement des enseignements artistiques qui fédère des actions communes entre 25 structures allant des conservatoires à de petites associations. En réalité, nous avons développé une singularité qui passe par une tentative de décloisonnement : ne pas séparer l’aspect pédagogique des pratiques amateurs ou de la diffusion et des festivals. Tout en respectant la clarté des projets pour ne pas confondre pratiques amateurs et prestations professionnelles, jusque dans leurs convergences.
Que vous permet de faire cette construction en réseau ?
Grâce à cela, nous pouvons articuler un certain nombre d’actions qui trouvent des ramifications jusque dans les festivals. Par exemple avec des formations professionnelles en résidence comme l’Orchestre Les Siècles de François-Xavier Roth, l’un des plus grands chefs d’orchestre français actuels, qui participe également à nos actions pédagogiques. Il vient chaque année dans l’Aisne pour diriger un orchestre de 90 jeunes issus des conservatoires et écoles de musique réunis avec une vingtaine d’artistes de son orchestre, pour des stages et des concerts publics, notamment à la cité de la musique de Soissons qui est un nouvel outil formidable pour le territoire. On retrouve donc avec ce projet l’idée de cohérence qui m’est chère.
On croit souvent que l’Aisne n’est qu’un champ de betteraves. Alors qu’en réalité c’est un territoire de paysages extrêmement divers et au patrimoine historique et culturel très riche.
Pouvez-vous nous présenter le festival de l’abbaye Saint-Michel que vous dirigez également ?
C’est un festival de musique baroque que nous avons créé en 1987 dans ce site patrimonial exceptionnel qui bénéficie d’un orgue historique restauré datant du XVIIIème siècle. L’idée était de valoriser le lieu par la musique qui lui était naturellement et historiquement associée.
Ma problématique n’avait jamais été de savoir où organiser un festival baroque dans l’Aisne. C’est le lieu qui a dicté ce projet artistique, sui generis, qui dépasse de loin l’idée de jouer de la musique ici simplement parce qu’il y a des belles pierres.
Le patrimoine semble être d’une importance capitale dans vos actions…
On croit souvent que l’Aisne n’est qu’un champ de betteraves. Alors qu’en réalité c’est un territoire de paysages extrêmement divers et au patrimoine historique et culturel très riche : De Saint-Michel en Thiérache à Château-Thierry, abbayes, cathédrales, châteaux témoignent d’une mémoire foisonnante.
L’Histoire et le patrimoine présentent des opportunités de créer une programmation musicale cohérente avec le territoire, comme par exemple autour des communes natales de La Fontaine, Racine, Dumas ou Claudel. Le 25 mars nous proposons à Soissons un concert hommage à Claude Debussy pour le centenaire de sa disparition, en souvenir de ses villégiatures à Mercin près de Soissons.
Par ailleurs le festival de Laon sera axé cette année autour de la notion d’enracinement territorial, avec notamment la programmation du pianiste américano-taïwanais Kit Armstrong qui a acquis une église désaffectée à Hirson pour en faire un lieu de concerts et de résidences musicales. Par ailleurs, à l’occasion du centenaire de l’offensive du chemin des dames nous avons commandé l’an dernier grâce à la Fondation de France un oratorio à Edith Canat de Chizy. L’œuvre s’intitule Le Front de l’Aube et a été jouée par un orchestre constitué pour l’occasion : l’ensemble orchestral de la cité composé de musiciens de l’orchestre des Siècles et d’enseignants des conservatoires du département.
Jouer et écouter de la musique classique est une pratique culturelle plus répandue dans les classes sociales supérieures. Comment parvenez-vous à élargir ce public ?
Cela passe notamment par les orchestres Démos. C’est un programme lancé, et cofinancé à hauteur de 60% par la Philharmonie de Paris et qui se déploie dans toute la France. En 2013 nous en avons créé un à Soissons, et un deuxième en 2016 à Saint-Quentin. L’idée est de sensibiliser des jeunes de 7 à 12 ans, issus des quartiers « politique de la ville » ou de la ruralité, et à qui l’on prête des instruments pour constituer un orchestre symphonique. C’est un système qui dure trois ans avec deux ateliers d’une heure et demie par semaine encadrés par des musiciens d’orchestre et des professeurs de conservatoire, ainsi que par un référent social.
A l’issue du premier dispositif à Soissons, 50% de l’effectif s’est ensuite inscrit au conservatoire, alors que cette démarche n’aurait certainement pas été possible sans ce projet. L’enjeu demeure cependant de s’adresser à un plus grand nombre d’enfants et cet objectif passe à mon sens obligatoirement par l’Education Nationale. La pratique chorale est de ce point de vue un excellent outil, efficace et assez économique.
J’emploie souvent le terme de « mécano » pour décrire ce que je fais. J’essaie de monter les pièces entre elles et de donner des cohérences sur un territoire dont les faiblesses socio-économiques voire culturelles n’appellent pas de façon automatique des actions de cette nature.
La dimension sociale des orchestres Demos est également très importante…
Oui tout à fait. Au début l’information de l’existence de Démos est diffusée dans les quartiers par les centres sociaux qui sont les partenaires essentiels du projet. Le volet social est aussi important que le volet musical. A ce titre, des référents sociaux encadrent les ateliers parce qu’ils connaissent les enfants et les problématiques inhérentes à chacun. Ce n’est pas le don musical d’un enfant qui doit justifier sa présence dans un atelier, mais la pertinence de cette action pour son développement personnel. Nous avons beaucoup de retours de travailleurs sociaux qui estiment que certains enfants ont été vraiment aidés par ce programme dans leur parcours personnel. En effet, ils sont considérés et respectés avec des objectifs dans un projet ambitieux.
On imagine souvent les campagnes comme des déserts culturels. Quel regard portez-vous là-dessus ?
J’emploie souvent le terme de « mécano » pour décrire ce que je fais. J’essaie de monter les pièces entre elles et de donner des cohérences sur un territoire dont les faiblesses socio-économiques voire culturelles n’appellent pas de façon automatique des actions de cette nature. Ce que je veux montrer, c’est qu’il est possible de les réaliser, et qu’il n’y a pas de fatalité à l’échec culturel sous prétexte que l’on est dans un secteur rural. C’est ma grande conviction.
Aujourd’hui quels sont les projets que vous portez ?
Mon sentiment est que si l’on veut atteindre massivement les jeunes, il faut passer par l’école. De fait, nous sommes en train de développer un programme d’interventions vocales dans les collèges et en fin de 1er cycle. Nous travaillons sur ce projet avec un groupe d’artistes anglais mondialement connu, Voces 8, qui a mis au point une méthode pédagogique qui fait chanter les enfants sans aucune formation musicale, les associant in fine à une prestation publique. Leur dispositif permet d’impliquer jusqu’à 200 jeunes par groupe, c’est considérable.
Votre association est ancienne, a-t-elle servi de modèle ?
Je pense que ces actions-là ne sont pas modélisables car elles sont vraiment spécifiques à un territoire. A certains endroits, urbains, riches et développés, notre existence ne serait pas nécessaire puisque l’offre culturelle y est déjà très large. Dans l’Aisne, j’ai le sentiment d’être utile à quelque chose.
Qu’en est-il de vos relations avec les pouvoirs publics ?
Je dois saluer une volonté de leur part de maintenir une action culturelle concrète dans des conditions difficiles. Le Conseil départemental nous apporte des soutiens financiers qui ont un effet direct et immédiat sur le territoire. Pourtant la situation économique n’est pas favorable. Nous avons subi des érosions comme tout le monde, sans que les budgets alloués à la culture ne soient amputés comme cela a pu être le cas ailleurs. Un deuxième orchestre Demos a même été ouvert à Saint-Quentin dans un contexte budgétaire très contraint. Nous avons été jusqu’à soixante associations de ce type en France mais beaucoup ont disparu, notamment pour des raisons économiques.
Propos recueillis par Louis Beauvié.
Copyright de l’image à la une : Denis Mahaffey.