On peut bien écraser de mépris les « gilets jaunes » mais cela ne leur indiquera pas pour autant une meilleure façon de faire la révolution, à supposer que quelqu’un possède la méthode.  Leurs adversaires diront qu’ils n’ont qu’à rester chez eux. Comment ne pas voir pourtant qu’ils n’en ont pas du tout envie ? Beaucoup croient encore, ne nous y trompons pas, que le combat de rue mènera aux lendemains qui chantent. Singulière métaphore, au demeurant, à considérer les rares images trouant l’obscurité de Caracas en proie à une violente crise politique. La contre-révolution ressemble à un « trou noir » non pas interstellaire mais tout à fait terrestre. La capitale du Vénézuela, pays aux réserves énergétiques immenses, est plongée à intervalle régulier dans les ténèbres provoquées par de mystérieuses coupures d’électricité. Comme s’il s’agissait de démontrer, justement, qu’entre « le grand soir » cher aux disciples d’Hugo Chavez formés à la dialectique marxiste-léniniste et le petit matin radieux, il y a la nuit prolongée ! Est-ce le moyen miracle trouvé par la droite bourgeoise et libérale pour finir de saboter une expérience populiste qui, par l’excès même de sa radicalité, ne pouvait déboucher sur aucune construction sociétale ? La zone latino-américaine n’en finira jamais d’abriter ainsi les laboratoires où s’expérimentent révolutions et contre-révolutions. Il n’est que de suivre, non sans appréhension, le cours de l’étrange expérience de « trumpisme tropical » qui commence au Brésil. Â
Quelle similitude trouver avec cette « France des gilets jaunes » où l’on rêve maintenant, selon l’heureuse formule de Claude Malhuret, de « démocratiser la démocratie » en rognant les prérogatives du Parlement.  La ressemblance serait à tout prendre de l’ordre du symbole car il y a aussi une force obscure, une panne de lumière dans notre pays. La révolution y est devenue une passion triste et hebdomadaire, une forrme de devoir conjugal routinier, même si l’on brise plus de vitrines que l’on ne défonce de matelas. La connaissance des griefs exprimés par les contributions classées et répertoriées à grand frais lors du « grand débat » n’apporte pas grand chose d’éclairant. Rien, en tous cas, que nous ne sachions déjà peu ou prou. N’attendons pas non plus du chef de l’Etat qu’il nous dise comment les Français pourraient soit « changer de système », soit « refaire société ». S’il savait convaindre sur ces thèmes, sans doute l’aurait-il déjà fait. Et, pendant ce temps-là , les réseaux sociaux, par les tombereaux d’invectives qu’ils déversent et la cancrerie qu’ils révèlent, nous éloignent chaque jour un peu plus de la civilisation des Lumières.
 Les problématiques de début de crise, en réalité bien antérieures à leur expression sur les boulevards et ronds-points restent toujours aussi diffuses et individualisées. Elles sont les mêmes que celles qui ont provoqué la progression croissante de l’abstention électorale et de la conséquence de celle-ci qui est la grande visibilité de l’extrêmisme. Ces causes ne sont pas de celles qui s’effacent par magie tant elles semblent existentielles. A tort ou à raison, pour des raisons géographiques ou sociologiques, nombre de nos compatriotes ont l’impression qu’ils ne sont pas dans le coup et que tout se jouera désormais en dehors d’eux et de leurs enfants.  Jamais passant, au demeurant, n’a été protégé par décret de la tuile qui pourrait lui tomber sur la tête et aucun citoyen ne peut attendre de l’Etat la garantie permanente de son bonheur individuel. Mais un président inspiré pourrait prendre, lui, quelque assurance contre les déconvenues futures en pariant un peu plus sur l’équité.